À Caën pays de sapience,
Vivoient Messieurs Dandins avocats, père et fils.
Le pere consultoit ; le fils à l’audience
Endormoit quelquefois Thémis.
Qui l’eût cru d’une ame normande ?
Le pere accommodoit les anciens procès ;
Il sauvoit aux plaideurs les dépens et l’amende ;
Le fils admiroit ses succès :
Mais à ses gains encor il portoit plus d’envie.
C’étoit de jour en jour nouveau remerciment ;
L’un lui devoit les biens, l’autre devoit la vie ;
La poule et le ducat au bout du compliment.
Le fils affriandé, sur les traces du père,
Se met en train de tout accommoder.
Ami de l’un, et de l’autre compère,
Il veut guérir, dit-il, les normands de plaider.
Déjà sur la moindre querelle,
Il assemble les contestans,
Leur prêche la paix fraternelle :
Déteste des procès la longueur éternelle :
Ennuis, chagrins, travaux, ruine au bout du tems.
Bien prêché, dit une partie ;
Mais Pierre est un fripon, monsieur.
Les fripons sont chez toi, reprend l’autre crieur.
De repartie en repartie
Chacun se quitte en s’outrageant ;
Laisse Dandin, court au sergent.
D’un démenti reçu notre juge novice
Veut décider. On lui conte le fait ;
Mais en présence de justice,
Le démenti tout frais est payé d’un soufflet.
Pour de si beaux succès, point d’honneur, point d’épice ;
Pas le moindre petit poulet.
Jeannot Dandin court à son père ;
Qu’est-ceci, lui dit-il ? Comment pouvez-vous faire ?
Arbitre des procès, vous accommodez tout.
Au diable le premier dont Jeannot vienne à bout.
J’en veux prévenir un, j’en fais renaître quatre
J’ai beau dire ; ils veulent plaider.
Eh ! Sot ; que n’attends-tu pour les accommoder
Que les gens soient las de se battre ?
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les deux Dandins.