Deux Arbres de semis, droits et pleins de vigueur,
Dépassaient de beaucoup toute la pépinière ;
Un jardinier que sa pratique éclaire,
Croit voir que chacun d’eux a besoin d’un tuteur.
A cette fin, sans tarder, il dispose
Deux forts piquets auxquels il se propose,
Durant leurs jeunes ans, de les assujettir.
Il y travaille, et se promet d’avance
Que son maître arrivant ne pourra qu’applaudir
A cette sage prévoyance :
L’un des deux jets, déjà moins vacillant,
Grâce à cette pratique habile,
Pourrait braver l’effort du vent ;
Mais le maître survient, il la trouve inutile
Et défend bien dorénavant
De tourmenter ses arbres de la sorte.
« Laissez pourtant, car il importe,
« Laissez l’ouvrage fait, » dit-il au jardinier ;
« Convaincu par l’expérience,
« Bientôt vous ne saurez nier
« Quelle sera la différence
« De mon Arbre poussant en pleine liberté
« Avec l’autre ainsi garrotté. »
A quelque temps de là, sous ses branches nombreuses,
Notre Arbre libre se courbant,
Et sûr ses voisins retombant,
Fait courir des chances fâcheuses
Aux arbustes moins vigoureux
Qu’il accable du poids de sa tête qui plie.
L’autre portait la sienne aux cieux.
Sans morale et sans frein le plus brillant génie
Est à la fois le plus pernicieux.
“Les deux jeunes Arbres”