Deux Mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,
L’autre portant l’argent de la Gabelle.
Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,
N’eût voulu pour beaucoup* en être soulagé.
Il marchait d’un pas relevé*,
Et faisait sonner sa sonnette* :
Quand l’ennemi se présentant,
Comme il en voulait à l’argent,
Sur le Mulet du fisc* une troupe se jette,
Le saisit au frein et l’arrête.
Le Mulet, en se défendant,
Se sent percer de coups : il gémit, il soupire.
“Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?
Ce Mulet qui me suit du danger se retire,
Et moi j’y tombe, et je péris.
– Ami, lui dit son camarade,
Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut Emploi :
Si tu n’avais servi qu’un Meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade. ”
Autres analyses:
- Les deux Mulets analysée par C. Hygin-Furcy
- Études sur Les deux Mulets de La Fontaine, P. Louis Solvet
Commentaires de Chamfort – 1796
V. 5. Relevé. Mauvaise rime qu’on appelle suffisante ; La Fontaine pouvait mettre, d’un pas dégagé.
V.6. Et faisait sonner sa sonnette. Est un vers heureux et d’harmonie imitative, qui s’est trouvé sous la plume de l’auteur.
La Fontaine ne manque pas, du moins autant qu’il le peut, l’occasion de mettre la morale de son Apologue dans la bouche d’un de ses acteurs. Cette fable des deux mulets est d’une application bien fréquente.
V. 2. Celui-ci glorieux d’une charge si belle ,
Il ‘eut voulu pour beaucoup en être soulagé.
Ce mulet-là fait songer à bien d’honnêtes gens. (Les deux Mulets )
Analyses de MNS Guillon – 1803
Début simple, expression correcte, images vives et pittoresques, L’argent de la Gabelle, impôt sur le sel remontant jusqu’au règne de Philippe de Valois, peut-être même jusqu’à celui de Philippe Long. La clameur publique en sollicitoit la suppression enfin consentie par Louis XVI. — D’un pas relevé. C’étoit bien là le therme propre, le seul convenable à la marche étudiée du glorieux Mulet.
Champfort substitue, d’un pas dégagé : ces expressions ne resemblent ni pour l’harmonie, ni pour la justesse. — Et foisant sonner sa sonnette. Le poète français avoit à lutter contre l’harmonie imitative de ce vers de Phèdre: k
Clarumque jactans tutinnabulum. Sur le Mulet du fisc, ou trésor public. — Et moi j’y tombe et j’y péris. D’autres leçons portent : je péris. — En riant de la sotte. jactance de l’animal, on s’attendrit sur sa catastrophe ; il interesse encore par son courage à se défendre. C’est dans ce style moitié grave et moitié badin , que Marot rappelle la tragique aventure de Semblannçay, dans son Elégie sur la mort de ce riche infortuné. (Oeuvr. T. I. page 85. )
Et c’est-là une des sources de cette naïveté fine et piquante, le vrai caractère de son esprit, que notre fabuliste tenoit et de la nature et de l’imitation des anciens. (
Les deux Mulets )