Fable Les deux Mulets analysée par C. Hygin-Furcy :
(Livre 1. — Fable 4.) Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi.
LES GENTILSHOMMES ET LES VILAINS A LA BATAILLE DE CRÉCY (1346).
Le 26 août 1346, l’armée anglaise, commandée par Edouard III, occupait les hauteurs de Crécy, près d’Abbeville. Philippe VI, qui voulait lui livrer bataille, mais dont les troupes avaient fait une très longue marche, venait de donner l’ordre d’attendre au lendemain. Déjà les arbalétriers génois, qui formaient l’avant-garde, dressaient leurs tentes, quand le comte d’Alençon, dont la bouillante ardeur brûlait de se signaler, méconnaît les ordres de son chef, et suivi d’un gros de cavaliers renverse les Génois étonnés et se jette sur les Anglais : il s’enfonce au milieu des bataillons ennemis, et la mêlée devient horrible.
Toutes les troupes s’élancent alors pour soutenir l’imprudent frère du roi, mais sans ordre, sans discipline. Le nombre même des combattants les empêche d’agir. Les arbalétriers anglais, bien placés sur une colline, choisissent leurs victimes ; les chevaliers frappés au défaut de la cuirasse sont renversés de leurs chevaux et achevés par les valets d’armée Gallois et Irlandais. Au milieu de cette boucherie, périssent le duc d’Alençon, victime de son imprudence, le vieux roi de Bohême, aveugle mais encore redoutable, le comte de Flandre et une quantité d’hommes d’armes. Mais, ce qui ébranla le courage des Français et acheva leur déroute, ce fut le ravage causé dans leurs rangs par l’artillerie employée alors pour la première fois, et dont l’épouvantable fracas leur semblait un bruit provenant de l’enfer.
Suivant un chroniqueur du temps, de si grands monceaux d’hommes, de chevaux et de débris d’armes s’élevèrent, que ce qu’il y avait encore de vivant était comme assiégé, bloqué et immobile dans ces barricades mortes. Les Français perdirent dans cette bataille onze chefs ou princes , quatre-vingts bannerets, douze cents chevaliers et trente mille hommes de tous rangs.
Tout le monde fuyait, et Philippe VI combattait encore… son cheval venait d’être tué sous lui ; mais dans l’exaltation du désespoir, il voulait mourir, disait-il, avec sa « brave chevalerie ; » étant remonté sur un autre coursier, il s’était enfoncé au plus épais des bataillons ennemis et abattait tout autour de lui- Quoiqu’ayant reçu deux blessures l’une à la gorge, l’autre à la cuisse, le roi frappait sans relâche et suivi de quelques preux, semblait défier le destin contraire. La nuit venait… Jean, de Hainaut, fidèle serviteur, fut obligé d’arracher Philippe de Valois du champ de bataille, en lui représentant qu’il fallait qu’il vécut pour se venger.
Ainsi ce prince, qui commandait quelques heures auparavant à cent vingt mille hommes, n’avait plus autour de lui que cinq chevaliers : Jean de Hainaut, Charles de Montmorency et les sires de Beaujeu, d’Aubigny et de Montsault. Les fugitifs arrivèrent dans la nuit au château de Broyé ; les portes en étaient fermées. « Qui appelle à cette heure? » dit le commandant, du haut des créneaux. — Ouvrez, répondit le roi, c’est la fortune de la France ! »
Les Anglais parcoururent le champ de bataille de Crécy à la lueur de fallots, non pour sauver les blessés, mais pour achever tous ceux qui paraissaient être de quelque distinction; puis, quand vint le jour, comme le brouillard était très-épais, Edouard conçut le projet d’une embuscade pour y faire tomber les troupes, qui, ignorant la défaite du roi de France, venaient pour lui porter secours. On planta sur un lieu élevé les bannières prises sur les Français. Attirées par ces enseignes, diverses troupes venant de Rouen et de Beauvais, arrivèrent successivement, furent surprises, cernées et désarmées en quelques instants. Pour ne pas faire de prisonniers qui l’auraient embarrassé, Edouard III ordonna de massacrer tous les gentilshommes. On vit alors un spectacle horrible : les soldats du roi d’Angleterre, transformés en bourreaux, arrachaient le casque de la tête de ces braves chevaliers et leur fendaient le crâne d’un coup de hache. Ainsi périrent le duc de Lorraine, l’archevêque de Rouen, le grand-prieur de France et quantité d’autres gentilshommes ; quant aux simples soldats et aux valets d’armée, on se contentait, après les avoir désarmés, de les chasser à coups de bâton hors de l’enceinte du camp ; ils ne devaient donc la vie, comme le mulet de la fable, qu’à leur peu d’importance, tandis que leurs chefs périssaient à cause de leur dignité même. Cette horrible cruauté d’Edouard III pèsera éternellement sur sa mémoire, et c’est en vain que ses plus chauds panégyristes ont cherché à le disculper d’un crime qui flétrit en partie les lauriers cueillis par lui à Crécy.
- Les deux Mulets, par Charles Hygin-Furcy , 18??
Autre analyse: