Jean-Stanislas Andrieux
Avocat, poète et fabuliste XVIII° – Les deux Rats
Mévoisins , près Maintenon , juillet 1793
Certain rat de campagne , en son modeste gîte ,
De certain rat de ville eut un jour la visite;
Ils étaient vieux amie ; quel plaisir de se voir !
Le maître du logis veut, selon sou pouvoir.
Régaler l’étranger ; il vivait de ménage ,
Mais donnait de bon cœur, comme on donne au village.
Il va chercher, au fond de son garde -manger,
Du lard qu’il n’avait pas achevé de ronger,
Des noix, des raisins secs ; le citadin , à table,
Mange du bout des dents, trouve tout détectable :
« Pouvez-vous bien, dit-il, végéter tristement ;
Dans un trou de campagne enterré tout vivant ?
Croyez-moi, laissez là cet ennuyeux asile;
Venez voir de quel air nous vivons à la ville.
Hélas! nous ne faisons que passer ici-bas ;
Les rats, petits et grands , marchent tous au trépas.
Ils meurent tout entier ? , et leur philosophie
Doit être de jouir d’une si courte vie ,
D’y chercher le plaisir ; qui s’en passe est bien fou. »
L’autre, persuadé, saute hors de son trou.
Vers la ville à l’instant ils trottent côte à côte ;
Ils arrivent de nuit ; la muraille était haute,
La porte était fermée ; heureusement nos gens
Passent sans être vus, sous le seuil se glissans.
Dans un riche logis nos voyageurs descendent;
A la salle à manger promptement ils se rendent.
Sur un buffet ouvert, trente plats desservis
Du souper de la veille étalaient les débris.
L’habitant de la ville , aimable et plein de grâce ,
Introduit son ami, fait les honneurs, le place,
Et puis ; pour le servir , sur le buffet trottant,
Apporte chaque mets, qu’il goûte en l’apportant.
Le campagnard, charmé de sa nouvelle aisance,
Ne songeait qu’au plaisir et qu’à faire bombance,
Lorsqu’un grand bruit de porte épouvante nos rats ;
Ils étaient au buffet; ils se jettent en bas,
Courent, mourant de peur, tout autour delà salle.»
Pas un trou… De vingt chats une bande infernale
Par de longs miaulemens redouble leur effroi.
« Oh ! oh ! ce n’est pas là ce qu’il me faut, à moi,
Dit le bon campagnard ; mon humble solitude
Me garantît du bruit et de l’inquiétude ;
Là, je n’ai rien à craindre , et si j’y mange peu,
J’y mange en paix du moins, et j’y retourne… Adieu.»
François Andrieux – 1759 – 1833, les deux rats
1) Collin d’Harleville a fait imprimer, dans ses œuvres, ma fable des Deux Rats à la suite de la sienne. Il prétend que la mienne est la meilleure; je suis d’un avis contraire. Nous avons toujours mis beaucoup d’amour- propre aux ouvrages l’un de l’autre. » Les deux Rats de Collin d’Harleville »