Un colosse de neige, à qui des étourdis
D’un empereur romain avaient donné la forme
Du haut de sa stature énorme
Jetait un regard de mépris
Sur un bronze dont la figure,
Les épaules, les pieds, les genoux et les bras
N’offraient plus qu’ira bloc de frimas.
Et de flocons neigeux durcis par la froidure.
Pendant deux mois d’hiver, au sortir de leurs bancs,
Mes écoliers, joyeux et fiers de leur ouvrage,
Rendaient à leur colosse un éclatant hommage,
Dansaient autour du bronze, et dans leurs jeux bruyants
Lui prodiguaient le sarcasme et l’outrage,
Criant à plein gosier qu’il avait fait son temps.
Mais le soleil de mars mit fin à ce scandale.
Des membres du colosse amollis, dejetés,
L’eau ruisselait de tous côtés,
Emportant par flocons sa forme impériale;
Et dans moins de trois jours, dénaturé, fonda,
Dans un amas de boue il avait disparu,
Tandis que, dégagé de son manteau de glace,
Le bronze avait repris sa première beauté,
Et son élégance et sa grâce,
Et son air d’immortalité.
Ce bronze est l’homme de génie,
Que poursuivent toujours la sottise et l’envie;
Et qui toujours triomphe des Pradons,
Des Zoïles et des Frérons.
Quant à la tourbe sacrilège,
Qui prétend dans son sein lui trouver des vainqueurs,
Sa fausse gloire et ses labeurs
Auront toujours le sort de mon homme de neige.
“Les deux Statues”