Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – L’Homme et son image
Commentaires et analyses sur L’Homme et son image de MNS Guillon – 1803
L’Homme et son image, pour M. le Duc de Rochefoucauld¹
(2) Ces conseillers muets. Point de métaphore ni plus ingénieuse , ni plus juste, pour exprimer un miroir que l’on consulte au besoin, et qui semble parler aux yeux du spectateur.
(3) Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs, etc. On sent combien cette répétition a de grâce. Elle semble multiplier les fâcheux miroirs, sous l’œil du lecteur, comme sous celui du héros de notre apologue. On dirait que le poète s’est entendu avec tous les porteurs de miroirs, pour reproduire sans cesse au-devant de son Narcisse l’instrument de son supplice. Plutarque désirait que dans le moment ou il se permettrait un accès de colère, un esclave intelligent lui présentât un miroir; rien, ajoute-il, n’étant plus propre à inspirer de l’horreur pour cette passion, que de se voir dans un état d’altération si contraire à l’armature. ( Moyens de réprimer la Colère ,T. VI. de la trad. de l’abbé Ricard, p.103).
(4) Que fait notre narcisse. On appelle Narcisse tout homme entêté de sa beauté réelle ou chimérique, par allusion à ce que la fable raconte d’un beau jeune homme de ce nom, qui devint si follement amoureux de lui-même, qu’il en perdit la vie.
(5) Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.« Veut-on un exemple d’un éloge singulièrement délicat et de l’allégorie la plus heureuse ? Lisez cette fable : Quoi de plus ingénieusement imaginé pour louer un livre d’une morale piquante, qui plaît à ceux même qu’elle censure, que de le comparer au cristal d’une eau transparente où, l’homme vain qui craint tous les miroirs, parce qu’il n’en a jamais trouvé d’assez flatteur, apercevoir malgré lui ses traits, dont il veut en vain s’éloigner, et vers laquelle il revient toujours ? Peut-on louer avec plus d’esprit »? M. de la Harpe ( Éloge de la Fontaine). M. de Chamfort est moins indulgent ou moins juste ;
il trouve l’idée du poète, bizarre , et l’invention médiocre. (L’Homme et son image)¹M. le duc de la Rochefoucauld, mort à Paris en 1680, à l’âge de 68 ans, a fait présent au public d’un petit recueil de Pensées qu’il avait arrangées pour lui-même, sans prétendre à la gloire chimérique de fixer les idées d’autrui. Il parait que l’auteur avait d’abord donné à son ouvrage le titre de Maximes, expression qui ne peut convenir qu’à des vérités incontestables ; or il s’en faut de beaucoup que toutes les pensées de M. de la Rochefoucauld soient à l’abri de toute contradiction. Elles sont presque toutes profondes, ingénieuses, vraisemblables ; mais on en trouve aussi quelques unes qui donnent prise à une juste critique. Ou lui a reproché , par exemple, d’avoir adopté ce dangereux système, que l’amour-propre désordonné, c’est-à-dire l’orgueil ou l’intérêt, est le mobile universel de nos actions. C’est ce qu’il exprimait énergiquement par ces mots : Il y a de l’argent au fond de tout.
Commentaires de Pierre Louis Solvet
M. de Ségur fait servir une fiction à peu près semblable à la justification d’un sage prêt à tomber dans la disgrâce d’un roi qu’avait offensé un de ses discours; et quelle que soit la prévention générale en faveur de La Fontaine, on ne peut au moins disconvenir que la leçon qui résulte de cette dernière fiction ne soit d’une autre importance que le compliment, d’ailleurs très-délicat, qu’elle amène dans sa Fable. Voici en grande partie le conte de M. de Ségur :
Certain Enfant, Fort laid, fort sot et fort méchant,
Dans un miroir vit un jour sa ligure,
Et le miroir avec sincérité
Lui montra sa difformité.
L’Enfant, tout irrité, le brise, et se figure
Qu’il peut au gré de sa fureur,
En détruisant l’image , effacer sa laideur ;
Mais le cristal d’une onde claire
Lui montra, quelques jours après,
Même laideur et mêmes traits :
Et ne pouvant détruire la rivière,
Il dévora sa honte et ses regrets.
0 vous, roi, qui prenez cet enfant pour modèle
Si je fus de la vérité
Pour vous un miroir trop fidèle,
Songez au moins, en punissant mon zèle,
Que la rivière est la postérité.