Un homme avoit un jour obtenu du destin,
Que de son avenir il lui fit confidence.
Au livre de la providence,
Il lut donc tout son sort, ses progrès et sa fin.
Parmi de menus faits, de grandes avantures
Se déployèrent à ses yeux.
Il devoit être roi, puissant et glorieux,
Et puis captif, et puis mourir dans les tortures.
Ces révolutions sont le plaisir des dieux.
De tous ces objets quelle idée
Occupe désormais mon pauvre curieux !
Sa mort le suit par tout ; son âme intimidée
La souffre à toute heure, en tous lieux.
Ce roi futur, que la frayeur consume,
Se voit dans son affreux chagrin,
Esclave comme Montezume,
Grillé comme Guatimosin.
Ah ! Par pitié, grands dieux, ôtez-moi cette image,
S’écriat-t’il. Ses vœux sont exaucés.
Il ne voit plus la mort ni l’esclavage ;
Dans son esprit ce sont traits effacés.
Le voilà donc qui voit en perspective
Ce sceptre absolu qui l’attend :
En est-il mieux ? Le croyez-vous content ?
L’impatience la plus vive
Lui fait un siécle d’un instant.
Quelque faveur que le ciel lui déploye,
Tout est insipide pour lui :
Où les autres mourroient de joie,
Ce roi futur séche d’ennui.
Ciel, cria-t-il encor, retranchez les années
Qui me séparent de mon bien.
Hâtez mes grandes destinées :
Hors de-là je ne goûte rien.
Çà dit le sort, malgré ton imprudence
Je ferai mieux que tu ne veux.
C’en est fait, tu va être heureux ;
Je te rends à ton ignorance.
Bon lot ! Bien à propos tout homme en fut pourvû.
Sans cela notre impatience
Feroit un mal d’un bien prévû.
Et le mal nous tueroit d’avance.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, L’Homme instruit et son Destin.