Qui est Ésope ?
Par Charles Athanase Walckenaer et Émile Chambry
II existait, lorsque la Fontaine publia son recueil, une excellente Vie d’Ésope : c’était celle de Meziriac; mais elle était peu connue, et Bayle eut de son temps de la peine à se la procurer. M. de Sallengre l’a réimprimée dans ses Mémoires de littérature, 1715, in 8°, t.1, p. 90. La vie d’Ésope, attribuée peut-être faussement à Planude, était au contraire devenue, en quelque sorte, populaire avant la Fontaine, et on en avait inséré des traductions au devant de tous les recueils de fables publiés soit en vers, soit en prose. Je la trouve en tête du recueil des fables d’Ésope en prose, de Jean Baudoin, 1640, in-8°; et dans une traduction plus ancienne encore, imprimée à Troyes, intitulée les Fables d’Ésope et la vie d’Ésope Phrygien, traduites de nouveau en fronçais selon la vérité grecque, et enfin dans l’édition des fables de Corrozet, donnée par maître Antoine du Moulin , Rouen, 1379 ou 1587. Il est donc évident que notre poète¹ en mettant cette Vie d’Ésope par Planude en tête de son recueil de fables, n’a fait que céder à un usage en quelque sorte consacré depuis longtemps. Au reste la Motte excuse la Fontaine d’une manière bien ingénieuse:
« La Vie d’Ésope, dit-il, passe pour la fabuleuse ; mais en tout cas c’est une bonne fable, et qui peint à merveille la position de tous les fabulistes à l’égard de leurs lecteurs. Nous sommes des esclaves qui voulons les instruire sans les fâcher; ils sont des maîtres intelligents qui nous savent gré de nos ménagements, et qui reçoivent volontiers la vérité, parce que nous leur laissons l’honneur de la deviner en partie. »
Émile Chambry : « si l’on a cherché la patrie d’Ésope hors de la Grèce, en Phrygie, c’est que le nom Αἴσωπος ne semble pas être un nom grec ; on a cru y voir un nom phrygien, qu’on rapprochait du nom du fleuve phrygien Αἴσηπος, et peut-être du guerrier troyen Αἴσηπος dont il est question chez Homère ; on l’a rapproché aussi du mot Ἢσοπος qu’on lit sur un vase de Sigée. Une Vie d’Ésope le fait Lydien, sans doute parce que, d’après la tradition qui apparaît pour la première fois dans Héraclide, il fut esclave du Lydien Xanthos. En somme, toutes ces traditions ne reposant que sur des conjectures, il serait vain de s’arrêter à l’une d’elles : mieux vaut se résigner à ignorer ce qu’on ne peut savoir. »
¹La vie d’Ésope par La Fontaine
(extrait) – Nous n’avons rien d’assuré touchant la naissance d’Homère et d’Ésope. A peine même sait-on ce qui leur est arrivé de plus remarquable. C’est de quoi il y a lieu de s’étonner, vu que l’histoire ne rejette pas des choses moins agréables et moins nécessaires que celle-là. Tant de destructeurs de nations, tant de princes sans mérite, ont trouvé des gens qui nous ont appris jusqu’aux moindres particularités de leur vie; et nous ignorons les plus importantes de celles d’Ésope et d’Homère, c’est-à-dire des deux personnages qui ont le mieux mérité des siècles suivants. Car Homère n’est pas seulement le père des Dieux, c’est aussi celui des bons poètes. Quant à Ésope, il me semble qu’on le devait mettre au nombre des sages dont la Grèce s’est vantée, lui qui enseignait la véritable sagesse…la suite…
- Jean de La Fontaine, Charles Athanase Walckenaer, Firmin Didot Frères, 1859
- Émile Chambry, Ésope fables 1927