Moseheddin Saadi
Écrivain, moraliste , poète et fabuliste antiquité – Scheïkh Moslehedin Saadi
Scheïkh Moslehedin Saadi naquit dans la ville de Schiraz , capitale de la Province de Perse, proprement dite, l’an de l’Egire 571.
Voyageur & Dervis dans ces temps où l’Europe armée par ses Prêtres , croyait expier ses crimes en portant le fer & la flamme dans le vaste Empire du Mahométisme, Saadi déjà célèbre, mais caché dans les Déserts de la Terre Sainte, y fut pris, & se vit forcé à travailler quelque temps, comme esclave, aux Terre – Plains de Tripoli.
Reconnu par un Marchand d’Alep, qui lui offrit de payer sa rançon, il se revit bientôt en liberté ; mais la reconnaissance qu’il devait à son Libérateur le conduisit insensiblement à se charger de chaînes d’une autre espèce que celles qu’il venait de quitter à Tripoli, & qui lui parurent encore plus pesantes.
Gendre du Marchand d’Alep, il ne goûta point dans le mariage le bonheur de cet état, & plus d’un endroit de ses Ouvrages porte le caractère d’un mari peu content.
La gloire fut sa consolation , sans doute ; et la rencontre qu’il fit dans un bain, du Pocte Héman, Persan comme lui, ne le laissa pas douter que sa Patrie ne supportât son absence avec peine. Héman sans le connaître lui récita plusieurs de ses vers ; Saadi ! son tour en récita quelques – uns du Poète Héman, et tous deux enchantés de s’être donné si naturellement des preuves de leur estime mutuelle , se lièrent pour le reste de leur vie de l’amitié la plus rare entre des rivaux de cette espèce.
De. retour en Perse, sous le règne de Mustafer – Eddin Aboubekre , il se fit aimer de ce Prince, qui le combla de bienfaits. Ce fut à lui qu’il dédia son Gulistan, le plus fameux de ses Ouvrages : sa reconnaissance pour ce Monarque ne peut se peindre que par les expressions qu’il lui donne.
Est-il étonnant , dit- il , qu’à l’exempte d’un grand Roi, tous les Grands, tous les Peuples aiment Saadi ? Tous les Grands, tous les Peuples ne se forment-ils pas sur te modèle du Prince ?
Quoique je sois rempli de défauts, depuis que ses regards favorables se tournent vers moi, mes vestiges sont plus brillants que les chemins de l’Astre du jour.
PARABOLE
J’étais un jour dans le bain , une terre adorante d’une main aimée passe dans la mienne. Je lui dis, es-tu le Musc ? es~tu l’Ambre ? Elle me répondit, je ne suis qu’une terre commune , mais j’ai eu quelque liaison avec la rose. Sa vertu bienfaisante m’a pénétrée, sans elle je serais encore la même terre.
C’est dans ce même Gulistan , traduit en Latin par Gentius , sous le titre de Rosarium politicum , & dans notre langue en 1704, que Saadi nous a appris son esclavage à Tripoli , son mariage & ses mécontentements.
Les Fables dix-sept & dix-huit de ce Recueil sont aussi des faits qui lui font personnels.
Il nous y a conservé encore une de ses aventures, qui avait précédé la protection d’Aboubekre Ce Poète, réduit sans doute à la misère , avait été réciter à un chef de voleurs des vers faits à sa louange ; le brigand après l’avoir fait dépouiller, avait fait lâcher ses chiens après lui. Son premier mouvement avait été de ramasser des pierres pour se défendre contre ces animaux; mais la gelée avait été si forte qu’il ne put en arracher une , ce qui lui fit dire en se sauvant : Voilà, de méchantes gens, ils lâchent les chiens & attachent les pierres.
Cette plaisanterie, ajoute Saadi, fit tire le chef des voleurs , qui lui cria de demander ce qu’il voudrait. Je ne vous demande , répondit le Poète que la veste dont vous m’avez dépouillé ; mais le chef des voleurs ne s’en tint pas à cette restitution, & lui fit donner de plus une veste fourrée.
Ce fut dans l’année de l’Egire 656 , année fatale au Khalifat, que Saadi fit paraître son Gulistan, qui signifie en Persan un jardin ou parterre de fleurs. Le Bostan, ou Jardin de fruits, écrit tout en vers, fut le second de ses Ouvrages importants, et la Bibliothèque Orientale fait encore mention d’un troisième, qui a pour titre Molamâat, & qui n’est pas moins estimé dans l’Orient que les deux premiers. Ce mot Arabe, qui lui sert de titre, signifie des étincelles ou des rayons.
Aucun de nos Littérateurs , en voyant paraître l’Intermède ingénieux du Roi et du Fermier , et le Drame intéressant et charmant d’Henri IV. n’a révélé que Mansfield, Auteur Anglais, qui, par son Roi et le Meunier, a fourni à nos Auteurs François les deux Pièces que nous venons de César Alcubìr, ou Le Grand Palais.
Mansor, Calife du Roi de Maroc s’égara un jour à la chasse ; le vent se leva furieux ; il semblait que l’eau du Ciel voulût engloutir la terre ; la nuit qui s’avançait devint encore plus affreuse par son obscurité.
Mansor ne savait ni que devenir, ni le lieu ou il était : demeurer, chercher l’abri de quelques arbres , le secours de quelque chemin , tout lui paraissait un péril évident.
Dans l’incertitude du parti qu’il devait prendre, il aperçut de loin une lumière ; un moment après il vit qu’elle était portée par un Pêcheur qui allait pécher des anguilles dans un lieu près de là.
Le Roi l’aborde , lui demande le chemin qui mène au Palais du Roi : vous en êtes à dix milles, répondit-il ; le Roi le pria de l’y conduire.
Je n’en ferai rien , dit-il, si le Mansor était ici en personne, je le refuserais de crainte, qu’enveloppé, de l’orage et des ténèbres, il ne se noyât, dans ces lieux marécageux.
Hé que t’importe , repartit le Roi, que le Mansor vive ou ne vive pas ?
Comment, que m’importe , réplique le Pêcheur. Mille vies comme la mienne et comme la vôtre ne valent pas un de ses moindres jours.
Aucun Prince ne mérite mieux toute l’affection de ses sujets, et celle que j’ai pour lui est si grande que je l’aime mieux que moi, et si je m’aime bien.
Tu ne parlerais pas comme tu parles si tu n’en avais reçu des bienfaits considérables.
Moi ? non ; mais quels bienfaits plus considérables peut-on espérer d’un bon Roi qu’une justice équitable, un gouvernement sage et tranquille ? Sous sa protection je jouis en paix de ce qu’il a plu à Dieu me donner : j’entre dans ma cabane , j’en sors quand je veux, et je ne sache homme vivant qui m’inquiète ou qui m’outrage.
Venez, vous serez mon hôte, demain je vous guiderai où vous voudrez.
Le Roi suivit le bonhomme à sa cabane , se sécha, soupa avec sa famille, se reposa jusqu’au matin, fut rencontré par ses Veneurs , et récompensa le Meunier à qui il donna son Château de César Alcubir, devenu depuis une des plus belles villes de l’Afrique et des plus renommés pour les Arts, pour les Sciences, et pour les bonnes mœurs.
Voila bien certainement l’ancien original, du Roi et du Meunier que l’Auteur Anglais avait puisé vraisemblablement dans la traduction qu’on vient de rapporter. Le plagiat littéraire consiste moins à prendre qu’à faire un mystère du lieu où l’on a pris.
Saadi eut la plus longue et la plus heureuse vieillesse ; il vécut plus d’un siècle, et mourut l’an de l’Egire 691, & de notre Ere 1311.
La mémoire de Saadi est heureuse , dit Héman qui lui survécut ; elle est chère aux Rois , aux Grands , et aux Peuples Toutes les régions du monde ont admiré la perfection de son éloquence & de sa doctrine….
Vous qui le lirez, suivez, aimez ses préceptes ,& toutes les vertus que contiennent ses Ouvrages vous seront communiquées.
“Scheïkh Moslehedin Saadi”