Gustave Bourassa , 1860 – 1904 ( 2eme. partie)
II
Un des grands mérites du fabuliste a été de donner à ses récits une forme dramatique. Il a voulu faire de son recueil, lui-même nous l’apprend,
Une ample comédie à cent actes divers, Et dont la scène est l’univers.
Son livre est un petit théâtre en raccourci, donnant la représentation de tous les genres de drames, depuis les plus élevés, la tragédie et la comédie, jusqu’au plus simple, le vaudeville. Les animaux en sont le plus souvent les acteurs, et il leur attribue toujours un caractère, un langage, des actions conformes à leurs mœurs et à leur physionomie. Ses devanciers ne s’étaient pas montrés aussi fidèles à cette règle d’art. ” Ils ne respectent pas toujours l’espèce et la forme ; ils méconnaissent le caractère ; ils prêtent à l’oiseau ce qui convient au quadrupède ; ils font faire au plus petit ce qui demanderait la force et la taille du plus grand. Leurs ressemblances avec les hommes n’y sont pas tirées de leurs mœurs. Le plus souvent même, le poète ne leur donne aucune propriété particulière, et l’histoire naturelle n’a rien à y prendre ; ce sont des hommes du temps, sous des noms d’animaux. ” (1)
La Fontaine aussi met bien en scène, sous les masques velus et les habits fourrés de ses plaisants acteurs, les hommes et les femmes de son temps, observés dans les salons du grand monde, dans les maisons bourgeoises des villes ou dans les chaumières rustiques. Mais il se garde de leur donner la robe et l’allure d’un animal avec qui ils n’auraient aucun trait de ressemblance ; et, son personnage une fois choisi, il ne réunit pas en lui des traits disparates, pas plus qu’il ne lui attribue des allures qui ne sont pas celles de son type dans la nature.
Ses personnages ont encore un autre mérite : c’est qu’ils sont essentiellement humains, par le fond même de leur nature et de leurs sentiments. Si le visage et le costume sont tantôt d’un Grec ou d’un Français, d’un habitant des rives du Gange ou d’un citoyen d’Athènes, d’un rat du Levant ou d’un renard d’Angleterre, suivant le sujet de la fable, l’auteur qui le lui fournit, ou le souvenir personnel qui l’évoque en lui, les défauts et les qualités qu’il met en relief sont les défauts et Un des grands mles qualités de l’animal humain, sous toutes les latitudes et dans tous les temps. Ils sont d’une vérité universelle ; les lecteurs de tous les pays en peuvent faire leur profit, en appliquer la leçon à leur propre existence. Les traits individuels, la couleur locale sont là pour assurer la vérité particulière de chaque tableau, le décor convenable à chaque scène, le costume de chaque personnage. Mais ces tableaux et ces scènes sont ceux de la grande comédie humaine, dont la scène est l’univers, et vous pouvez transporter sous tous les cieux, sans les dépayser, ces portraits, si spirituellement peints, du potentat orgueilleux et despotique, du courtisan souple et plat, astucieux et cruel, du charlatan verbeux et spirituel,de la péronnelle indiscrète et bavarde,de l’homme d’Église, oublieux du désintéressement apostolique et qui escompte amoureusement les promesses du casuel.
- Gustave Bourassa , 1860 – 1904 (IIe. partie)