Étienne Gosse
Poète, journaliste et écrivain et fabuliste XVIIIº – Avant propos
Avant propos.
Le succès qu’une partie de ces Fables a obtenu, soit aux séances de la Société Philotechnique, soit dans les journaux, m’a engagé à en offrir le Recueil au Public….
…La littérature appliquée à la politique ne doit servir qu’à réunir les hommes ; c’est dans cet esprit que je crois avoir composé ce Recueil. Frappé seulement par le tableau des travers ou des vices en général, je n’ai prétendu blesser personne, et l’on ne m’accusera pas d’une satire personnelle.
Je ne terminerais pas cet Avant-Propos sans déposer aux pieds de l’inimitable La Fontaine l’hommage que tout faiseur de fables doit à ce grand maître; mais j’ai rempli cette tâche dans mon Prologue, et il ne me reste qu’un mot à dire sur les préjugés qui s’élèvent contre les Fables nouvelles . Les uns prétendent que, dans un siècle où l’on ose tout attaquer, la fable devient inutile ; mais, comme l’a dit ingénieusement l’un des meilleurs fabulistes de nos jours, M. Arnault, l’apologue n’est pas l’ombre répandue sur une vérité, c’est la lumière jetée sur la vérité. Tous les détracteurs des fabulistes modernes n’empêcheront pas la réputation que s’est acquise en ce genre l’exilé, toujours français, auquel je viens d’emprunter cette citation; ils n’empêcheront pas que les Fables de M. Lebailli ne soient toujours relues avec plaisi ;; qu’on ne s’amuse des gracieux Apologues de madame Joliveau ; qu’on ne sourie à ceux de M. Dutremblay, et qu’on ne s’instruise avec le Recueil de M. François-de-Neufchâteau. Et cependant je dois m’élever, comme lui, contre les préjugés qui repoussent d’avance cette sorte d’ouvrages.
Dès qu’un Recueil de Fables est annoncé , il est presque condamné d’avance : eh ! que peut-on faire en ce genre après La Fontaine ? Ce qu’on peut faire : chercher des sujets nouveaux; entrer dans une route que le grand maître n’a pu suivre, puisqu’elle n’était pas ouverte au temps où il a vécu ; encourager, par un éloge d’autant plus adroit qu’il est indirect, tous ceux qui font le bien; démasquer, sous l’emblème d’une action amusante, tous ceux qui font le mal ; consoler ceux qu’on opprime par une ingénieuse allégorie; attaquer ceux qui abusent du pouvoir par une moralité piquante; mettre en scène ces animaux qui pensent que reculer et marcher est la même chose, ou bien ceux qui croient que siffler et juger sont synonymes ; retrouver, dans l’instinct de toutes les bêtes lâches et malfaisantes, la conduite du délateur de 1815, et dans les habitudes des caméléons, le naturel des renégats, et l’esprit des girouettes de toutes les époques ; profiter même des fabulations des étrangers, non pas en les traduisant sèchement , comme on le fait trop souvent , mais en les imitant avec goût, et en leur prêtant les couleurs de notre poésie, comme l’a fait M. Ginguené. La différence du gouvernement, les nouvelles habitudes qui en sont la suite nécessaire, d’anciens préjugés détruits et déjà remplacés par d’autres, le temps qui change tout et qui substitue à des travers passés d’autres travers qui recommencent : n’en voilà-t-il pas assez pour donner à la fable une direction variée, utile, amusante ? Et comme personne ne s’avise de dire qu’il ne faut plus faire de comédies, parce qu’il serait impossible d’égaler Molière, pourquoi vouloir qu’on renonce à faire des fables, parce qu’on ne saurait égaler La Fontaine? Je dis plus : la fable a un avantage sur la comédie ; comme elle ne parle pas aux passions des hommes rassemblés, elle peut être plus hardie sans danger, et la censure ne la décolore pas; elle peut offrir à-la-fois la nouveauté d’un double rapport. D’un côté, le ridicule qu’elle attaque doit être nouvellement observé ; et de l’autre, l’objet choisi dans l’étude de la nature peut être tout-à-fait neuf. Les progrès que font chaque jour les sciences physiques et naturelles; l’étude de la botanique plus répandue ; les mœurs, les habitudes, les sensations des fleurs, des plantes, des animaux,, mieux observées et plus connues ; tout cela peut prêter aux apologues des images gracieuses et variées dont les autres fabulistes n’ont pu, profiter. Mais je m’arrête, en traçant ce qu’on pourrait faire ; et en montrant ce que j’ai fait, j’élève peut-être contre moi de justes critiques : Eh bien ! profiterai.
…Qu’on veuille se rappeler seulement que ce volume est un essai ; que ces Fables, composées pour des lectures particulières, n’étaient point destinées au danger de l’impression, et que ce n’est qu’après avoir terminé cet ouvrage, que j’ai senti que j’étais peut-être en état de mieux faire….
…Dans les Fables qui composent ce volume, un petit nombre est imité de Pignotti, de Kidgell. Cette imitation m’a conduit à prendre deux sujets qui se trouvent, l’un dans l’abbé Aubert, l’autre dans La Motte;..
- Fables d’Étienne Gosse, Membre de la société Philotechnique. Paris – 1818.