A. de Closset
Avocat, analyses des fables – Le Corbeau et le Renard
Analyses des fables de La Fontaine par A. de Closset – 1867
Le Corbeau et le Renard de La Fontaine.
Esope, 216, 208 ; Phèdre, 1,15. Au moyen âge ce sujet a excité la verve de plusieurs poètes, notamment de Marie de France et des auteurs du Roman du Renard et de la Farce de l’Avocat Pathelin.
Maître corbeau (1) , sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage ,
Voici le récit que l’auteur anonyme de la Farce de maître Pathelin a mis dans la bouche de Guillemette :
**Il m’est souvenu, de la fable
Du corbeau que estoit assis
Sur une croix de cinq à six
Toyses de hault, lequel tenoit
Un fromaige au bec: là venoi
Un renard qui vit ce fromaige;
Pensa à luy: Comment l’auray-je?
Lors ae mist dessouz le corbeau :
Ha! Fist-il, tant a le corps beau.
Et ton chaut plein de mélodie!
Le corbeau, par sa cornardie,
Oyant son chant ainsi vanter,
Si ouvrit le bec pour chanter.
Et son fromage chet à terre;
Et maistre renard le vous serre
A bonnes dents, et si l’emporte.
Ainsi est il, je m’en fais forte,
De ce drap; vous l’avez hapé (2)
Par blasonner, et atrapé
En luy disant de beau langaige
Cumme fist renard du fromaige.
**Un noir corbeau dessus un arbre estoit
Et en son bec un fromage portoit.
Corrozet, fab. II.
Le titre de maître, aujourd’hui commun aux avocats, aux avoués et aux notaires, se rencontre dans la Farce de Pathelin et dans Rabelais. Dans le premier ouvrage on parle de maître Reynard ; dans celui du curé de Meudon, de monsieur de l’Ours, monsieur du Lion.
(1) Tenait en son bec un fromage. Ce vers se trouve dans la table 1er d’Ysopet I , qui commence ainsi le même sujet :
Sire Tiercelin le corbeau,
Qui ouide (croit) être avenant et beau
Tenait en son bec un fromage.
Que vous êtes joli, etc. J.-J. Rousseau blâme ce vers comme constituant une cheville, une redondance inutile. Ce jugement paraît sévère : entre les deux épithètes, il n’y a pas une vaine synonymie, mais une véritable gradation : la première (joli ) exprime l’idée d’avenant, de ce qui plaît ; la seconde (beau) exprime un sentiment d’admiration. Chamfort ne partage pas l’avis de l’auteur d’Émile ; à ses yeux, le discours du renard est un chef-d’œuvre.
Ramage, ne se dit que du chant des petits oiseaux. Langage de la flatterie.
Se rapporte à votre plumage, répond à votre plumage, l’égale.
Phénix. Oiseau fabuleux, dont l’histoire remonte aux temps les plus anciens. Il ne paraît pas cependant qu’elle ait jamais été acceptée par les esprits éclairés. Hérodote regarde son existence comme peu vraisemblable.
Dans le passage de La Fontaine, le mot phénix est employé au figuré; en ce sens il désigne une personne unique ou rare dans sa carrière, à raison de ses qualités éminentes.
Le corbeau ne se sent pas de joie, c’est-à-dire que l’excès de la joie lui enlève le sentiment de lui-même. Ce vers, vivement critiqué par J.-J. Rousseau, exprime une pensée fort juste, car tout sentiment vif nous met hors de nous.
Il ouvre, un large bec .etc. Ce vers est admirable, l’harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert, j’entends tomber le fromage à travers les branches. (J.-J. Rousseau)
Mon bon monsieur, etc. La rime de monsieur avec flatteur, défectueuse aujourd’hui pour l’oreille, était exacte au temps de La Fontaine, parce que c’était l’usage alors de faire sonner l’r de monsieur. Ainsi en était-il encore de l’infinitif présent marcher, et du substantif foyer, qui rimaient avec cher. Boileau avait proposé à La Fontaine de substituer chanteur à monsieur; mais notre poète ne tint pas compte de l’observation : il ne voulut pas renoncer à la fine raillerie qui se trouve dans son bon monsieur.
Apprenez que tout flatteur. Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise.
C’est le renard qui donne la leçon à celui qu’il a dupé ; cela rend cette petite scène en quelque sorte théâtrale et comique. Mais la morale de cet apologue est-elle excellente, comme on l’a prétendu? Nous en doutons, car finalement nous y voyons le vice récompensé; comme le dit Chamfort, cette fable apprend moins aux enfants à ne pas laisser tomber le fromage de leur bec, qu’a le faire tomber du bec d’un autre. Marie de France n’a pas péché aussi gravement que La Fontaine, car elle suppose que le corbeau avait volé le fromage.
Le Sage s’est inspiré de cet apologue dans son roman de Gil Blas. A peine son héros a-t-il quitté le foyer paternel, il est accosté par un personnage qui le cajole et se régale a ses dépens.
« Seigneur Gil Blas, lui dit-il, je suis trop content de la bonne chère que vous m’avez faîte, pour vous quitter sans vous donner un avis important dont vous me paraissez avoir besoin. Soyez désormais en garde contre les louanges, défiez-vous des gens que vous ne connaissez point. Vous en pourrez rencontrer d’autres qui voudront, comme moi, se divertir de votre crédulité, et peut-être pousser les choses encore plus loin. N’en soyez point la dupe, et ne vous croyez point, sur leur parole, la huitième merveille du monde. » Là-dessus il le quitta en lui riant au nez. ( Le Corbeau et le Renard de La Fontaine analysée)
Autres analyses:
- Le Corbeau et le Renard, analysée par C. Rouzé
- Le Corbeau et du Renard, analysée par Louis Moland.
- Le Corbeau et le Renard, expliquée par J.-J. Rousseau.
- Le Corbeau et le Renard, commentée par Hygin-Furcy