Clodomir-Joseph Rouzé
Auteur de manuel scolaires, analyses des fables – Le Corbeau et le Renard
Le Corbeau et le Renard, analysée par Clodomir Rouzé
Nous sommes souvent exposés, dans la vie, à rencontrer des gens qui nous flattent et nous comblent de caresses pour obtenir de nous ce qu’ils désirent.

Les sots se laissent toujours duper par ces amabilités intéressées : ils prêtent une oreille complaisante à ces loges qui caressent leur grosse vanité, et s’aperçoivent un beau jour que l’on s’est moqué d’eux : mais il est trop tard ; et s’ils ont la maladresse de se plaindre de leur mésaventure, ils deviennent l’objet de la risée publique. L’homme sage et modeste, au contraire, sait exactement ce qu’il vaut et il se défie toujours de ceux lui, pour le flatter et le tromper ensuite, lui prêtent des dualités imaginaires. C’est ce sage que nous devons prendre pour modèle. Quand nous sommes sur le point de nous laisser séduire par des louanges mensongères, rappelons-nous comment fut punie la sotie vanité du corbeau, dans la fable suivante de La Fontaine.
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Le titre de maître se donne encore aujourd’hui aux avocats et aux notaires. La Fontaine nous présente donc le Corbeau comme un personnage, un gros monsieur, terme dont il se sert en parlant des parents du loup Malheureusement, si maître Corbeau est assez riche pour avoir des flatteurs, il n’a pas assez d’esprit pour deviner le sentiment qui les anime : il croit sottement tout ce qu’ils lui disent.
Voilà donc maître Corbeau sur un arbre. Maître Renard, alléché, c’est-à-dire attiré par l’odeur du fromage, voit tout de suite que l’oiseau est perché trop haut pour qu’il puisse l’atteindre. Son esprit inventif lui fournit aussitôt un expédient.
Maître Renard, par l’odeur alléché.
Lui tint à peu près ce langage.
Il semble que la Fontaine à entendu les paroles du Renard et qu’il n’est pas bien sûr de les rapporter exactement. Le rusé compère feint d’être tout étonné de voir le Corbeau. L’exclamation qu’il pousse, sert à faire croire qu’il ne s’attendait pas à celle rencontre. Du reste l’oiseau est sur un arbre et il faut bien élever la voix pour appeler son attention.
» Hé! bonjour, monsieur du Corbeau !
Voilà le Corbeau anobli et devenu grand seigneur ! Monsieur du Corbeau ! Les apprentis tailleurs emploient la même ruse quand ils habillent M. Jourdain : ils l’appellent mon gentilhomme, mon seigneur, et lui soutirent ainsi presque tout son argent.
Le Corbeau, préparé par cette adroite flatterie, va prendre au sérieux tous les compliments que lui adressera le Renard :
Que vous êtes joli ! que vous vous semblez beau !
Remarquez la gradation: joli se dit de ce qui a des dehors agréables ; beau, de ce qui a des formes parfaites.
Il faut être bien sot pour se laisser prendre à des flatteries si peu déguisées. Mais le Renard ne craint point d’effaroucher la modestie de sa dupe. Il est près de jurer qu’il dit à peine toute la vérité :
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois ! »

c’est-à-dire, si le chant que vous faites entendre dans les rameaux, dans les branches des arbres, a du rapport, de la ressemblance avec voire plumage et, par conséquent est aussi beau que lui, vous êtes le phénix, c’est-à-dire le plus rare et le premier des oiseaux qui habitent ces bois. Le Phénix passait, chez les Anciens, pour un oiseau unique, sans pareil, qui vivait cent ans et se jetait ensuite dans le l’eu pour en sortir plein de jeunesse. — On appelle hôte celui qui reçoit chez lui un étranger et lui donne la nourriture et un lit : le même mot désigne aussi celui qui reçoit l’hospitalité. Les oiseaux sont les habitants, les hôtes des bois, où ils trouvent leur nourriture et un abri.
Les éloges exagérés du Renard causent au Corbeau une joie si vive, qu’il ne se sent plus, c’est-à-dire qu’il ne sait plus où il est ni ce qu’il fait, tant il a l’esprit troublé. Il croit sottement qu’il mérite ces louanges, et veut prouver au Renard que sa voix ne le cède en rien à son plumage.
A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie,
Et pour montrer sa belle voix.
c’est-à-dire pour montrer combien sa voix est belle,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
c’est-à-dire le fromage que, selon Phèdre, il avait volé sur une fenêtre.
La ruse du Renard a réussi : incapable d’arriver jusqu’au Corbeau, il a fait tomber du bec de l’oiseau le butin qu’il convoitait.
Le Renard s’en saisit et dit :
« Mon bon monsieur, Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute.
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Maintenant qu’il lient la proie, le Renard parle avec la plus grande familiarité au Corbeau. Il l’appelait tout à l’heure « Monsieur du Corbeau »; il l’appelle maintenant « Mon bon monsieur; » il pousse môme l’irrévérence jusqu’à se moquer de lui et lui donne une leçon qui renferme la morale de la fable. C’est donc un flatteur qui nous apprend à nous défier de ses pareils, en nous montrant qu’ils vivent aux dépens de ceux qui prêtent complaisamment l’oreille à leurs discours : l’aveu est touchant !
Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
La vanité, hélas! est un défaut presque incurable. Le Corbeau n’a pas dû tenir son serment. (Le Corbeau et le Renard, par Clodomir Rouzé)
- Rouzé, Clodomir. Analyses littéraires de fables de La Fontaine et de morceaux choisis, par C. Rouzé, 1886.
Le Corbeau et le Renard, Jean de La Fontaine