Jean-Pons-Guillaume Viennet
Poète, fabuliste XVIII° siècle – Le Lion et ses Familiers
Un grand à nos dépens aime souvent à rire ;
Mais n’oubliez jamais qu’il veut être flatté.
Craignez même, en jouant, de blesser sa fierté
Évitez de le contredire ;
Et s’il se vante à vous d’aimer la vérité,
Sachez, ce qu’on gagne à la dire.
Un lion, roi d’Asie, avait pour confidents
Un renard, vieux routier parmi les courtisans,
Ainsi qu’un épagneul, pétri de bonhomie,
Fidèle serviteur, n’aimant point à demi,
Pour son maitre cent fois prêt à risquer sa vie,
Mais flatteur maladroit autant que bon ami.
Le lion les comblait de biens et de caresses;
Mais sans raison, sans pitié, sans égard,
Sur eux à chaque instant lançait quelque brocard.
Il était né railleur: tout prince a ses faiblesses.
Le renard souffrait tout; et de Sa Majesté
Vantait l’esprit joyeux, la gaité débonnaire.
Des traits les plus malins il était enchanté ;
Et plus on l’accablait, plus il semblait s’y plaire.
L’épagneul boudait, au contraire.
Ce passe-temps cruel et ce ton ricaneur
Décelaient à ses yeux un méchant caractère ;
Ce travers affligeait son amitié sévère,
Moins pour lui que pour son seigneur.
Nouveau Sully, souvent il montrait de l’humeur,
Et quelquefois de la colère.
Un soir, après souper, plus gai qu’à l’ordinaire:
» Pourquoi, « dit le lion, » nous gêner entre nous ?
Se connaissez-vous pas le cœur de votre maitre ?
Raillez sur votre ami, le roi n’y veut pas être.
Riez de mes défauts, comme je ris de vous. «
Le crédule épagneul se prit à ce langage,
Et soit pour se venger des brocards du lion,
Soit pour donner une leçon,
Mêlant à tout propos son malin caquetage,
Il usa largement de la permission.
Le lion fit d’abord très-bonne contenance ;
Mais il roula bientôt des yeux étincelants ;
De sa queue agitée il fatigua ses flancs ;
Et perdit enfin patience,
Lorsque sur un agneau, par sa mère égaré,
Et par le lion dévoré,
S’exerça du railleur la maligne imprudence.
»Je suis donc un barbare, un horrible tyran!
Le carnage et l’effroi règnent dans ma tanière !«
Dit-il en se levant et dressant sa crinière.
» Vous ! Sire,« interrompit le renard courtisan,
Qui, jusque-là se tenant en arrière,
Se serait bien gardé de railler un sultan ;
» Vous, un barbare! O ciel ! Et qui pourrait le croire
Vos sujets, bénissent vos lois ;
Vous êtes le meilleur des rois ;
Et des lions votre règne est la gloire.«
» — Je le croyais du moins, « reprit le potentat.
» Mais qui peut nous sauver des traits de la satire
Voyez comme il me traite, écoutez cet ingrat ;
Je plaisante avec lui, sa langue me déchire,
En tous lieux cependant il se dit mon ami.
Fiez-vous aux serments, croyez à l’apparence ;
Voilà ce que nous vaut l’excès de la clémence.
Que m’aurait dit de plus mon plus grand ennemi. «
L’épagneul veut répondre, espérance frivole
Le roi d’un coup de dent lui coupe la parole ;
Et, couvrant ses fureurs d’un voile d’équité,
A son orgueil sa vengeance l’immole,
Et le renard encor célèbre sa bonté.
Jean-Pons-Guillaume Viennet, Le Lion et ses Familiers