Omar Khayyam
Écrivain et poète – Quatrains – Moyen-âge
QUATRAINS ou RUBAIYAT : Khayyam – 1 – 2 – 3 – 4 – 5
1
Un matin, j’entendis venir de notre taverne une voix qui disait : A moi, joyeux buveurs, jeunes fous! levez-vous, et venez remplir encore une coupe de vin, avant que le destin vienne remplir celle de notre existence.
2
ô toi qui dans l’univers entier es l’objet choisi de mon cœur! loi qui m’es plus chère que l’âme qui m’anime, que les yeux qui m’éclairent! il n’y a rien, ô idole, de plus précieux que la vie : eh bien! tu m’es cent fois plus précieuse qu’elle.
3
Qui t’a conduite cette nuit vers nous, ainsi prise de vin? Qui donc, enlevant le voile qui te couvrait, a pu te conduire jusqu’ici? Qui enfin t’amène aussi rapide que le vent pour attiser encore le feu de celui qui brûlait déjà en ton absence ?

4
Nous n’avons éprouvé que chagrin et malheur dans ce monde qui nous sert un instant d’asile. Hélas! aucun problème de la création ne nous y a été expliqué, cl voilà que nous le quittons le cœur plein de regret (de n’y avoir rien appris sur ce sujet ).
5
Ô khadjè, rends-nous licite un seul de nos souhaits, retiens ton haleine et conduis-nous sur la voie de Dieu. Certes, nous marchons droit, nous; c’est toi qui vois de travers; va donc guérir tes yeux, et laisse-nous en paix.
6
Lève-toi, viens, viens, et, pour la satisfaction de mon cœur, donne-moi l’explication d’un problème : apporte-moi vile une cruche de vin, et buvons avant que l’on fasse des cruches de notre propre poussière.
7
Lorsque je serai mort, lavez-moi avec le jus de la treille; au lieu de prières, chantez sur ma tombe les louanges de la coupe et du vin, et si vous désirez me retrouver au jour dernier, cherchez-moi sous la poussière du seuil de la taverne.
8
Puisque personne ne saurait te répondre du jour de demain, empresse-toi de réjouir ton cœur plein de tristesse; bois, ô lune adorable! bois dans une coupe vermeille, car la lune du firmament tournera bien longtemps (autour de la terre), sans nous y retrouver.
9
Puisse l’amoureux être toute l’année ivre, fou, absorbé par le vin, couvert de déshonneur! car lorsque nous avons la saine raison, le chagrin vient nous assaillir de tous côtés; mais à peine sommes-nous ivres, eh bien, advienne que pourra!
10
Au nom de Dieu! dans quelle expectative le sage attacherait-il son cœur aux trésors illusoires de ce palais du malheur? Oh! que celui qui me donne le nom d’ivrogne revienne donc de son erreur, car, comment pourrait-il voir là-haut trace de taverne?
11
Le Koran, que l’on s’accorde à nommer la parole sublime, n’est cependant lu que de temps en temps et non d’une manière permanente, tandis qu’au bord de la coupe se trouve un verset plein de lumière que l’on aime à lire toujours et partout.
12
Toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas pour cela les ivrognes, car je suis prit, moi, à renoncera Dieu, s’il m’ordonne de renoncer au vin. Tu le glorifies de ne point boire de vin, mais celle gloire sied mal a qui commet des actes cent fois plus répréhensibles que l’ivrognerie
13
Bien que ma personne soit belle, que le parfum qui s’en exhale soit agréable, que le teint de ma figure rivalise avec celui de la tulipe, et que ma taille soit élancée comme celle d’un cyprès, il ne m’a pas été démontré, cependant, pourquoi mon céleste peintre a daigné m’ébaucher sur cette terre.
14
Je veux boire tant et tant de vin que l’odeur puisse en sortir de terre quand j’y serai rentré, et que les buveurs à moitié ivres de la veille qui viendront visiter ma tombe puissent, par l’effet seul de cette odeur, tomber ivres-morts .
15
Dans la région de l’espérance attache-toi autant de cœurs que tu pourras; dans celle de la présence lie-toi avec un ami parfait, car, sache-le bien, cent kaabas, faites de terre et d’eau, ne valent pas un cœur. Laisse donc là ta kaaba et va plutôt à la recherche d’un cœur.
16
Le jour où je prends dans ma main une coupe de vin et où, dans la joie de mon âme, je deviens ivre-mort, alors, dans cet état de feu qui me dévore, je vois cent miracles se réaliser, alors des paroles claires comme l’eau la plus limpide semblent venir m’expliquer le mystère de toutes choses !
17
Puisque la durée d’un jour n’est que de deux délais, empresse-toi de boire du vin, du vin limpide, car, sache-le bien, tu ne retrouveras plus ton existence écoulée, et, puisque tu sais que ce monde entraîne tout à une ruine complète, imite-le, et, toi aussi, sois jour et nuit ruiné dans le vin.