Omar Khayyam
Écrivain et poète – Quatrains – Moyen-âge
QUATRAINS ou RUBAIYAT : Khayyam – 1 – 2 – 3 – 4 – 5
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Du feu de tues crimes je ne vois point surgir de fumée1 ; de personne je ne puis attendre un sort meilleur. Cette main que l’injustice des hommes me fait porter sur ma tête, quand je la porte sur le pan de la robe d’un d’entre eux, je n’en obtiens aucun soulagement.
75
La personne sur qui tu t’appuies avec le plus de sûreté, si lu ouvres les veux de l’intelligence, tu verras en elle ton ennemi. Il vaut mieux, par le temps qui court, rechercher peu les amis. La conversation des hommes d’aujourd’hui n’est bonne que de loin.
76
Ô homme insouciant! ce corps de choir n’est rien, cette voûte composée de neuf cieux brillants n’est rien Livre-toi donc à la joie dans ce lieu où règne le désordre (le monde), car notre vie n’y est attachée que pour un instant, et cet instant n’est également rien.
77
Procure-toi des danseurs, du vin et une charmante aux traits ravissants de houri, si houris il y a; ou cherche une belle eau courante au bord du gazon, si gazon il y a, et ne demande rien de mieux; ne t’occupe plus de cet enfer éteint, car, en vérité, il n’y a pas d’autre paradis que celui que je t’indique, si paradis il y a.
78
Ayant aperçu un vieillard qui sortait ivre de la taverne, portant le sedjadèh sur ses épaules et un bol de vin dans sa main, je lui dis : 0 chéikh! que signifie donc cela? Il me répondit : Bois du vin, ami, car le monde, c’est du vent.
79
Un rossignol, ivre (d’amour pour la rose), étant entré dans le* jardin, et voyant les roses et la coupe de vin souriantes, vint me dire à l’oreille, dans un langage approprié à la circonstance : Sois sur tes gardes,ami, (et n’oublie pas)qu’on no rattrape pas la vie qui s’est écoulée.
80
ô khèyam! ton corps ressemble absolument à une tente : l’âme en est le sultan, et sa dernière demeure est le néant. Quand le sultan est sorti de sa tente, les fèrrachs du trépas viennent la détruire pour la dresser à une autre étape.
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Khèyam, qui cousait les tentes de la philosophie est tombé tout à coup dans le creuset du chagrin et s’y est brûlé. Les ciseaux de la Parque sont venus trancher le fil de son existence, et le revendeur empressé l’a cédé pour rien.
82
Au printemps j’aime à m’asseoir au bord d’une prairie, avec une idole semblable à une houri et une cruche de vin, s’il v en a, et bien que tout cela soit généralement blâmé, je veux être pire qu’un chien si jamais je songe au paradis.
83
Le vin couleur de rose dans une coupe vermeille est agréable. Il est agréable, accompagné des airs mélodieux du luth et des sons plaintifs de la harpe. Le religieux qui n’a aucune notion des délices de la coupe de vin est agréable, lui, quand il est à mille farsakhs loin de nous.
84
Le temps que nous passons dans ce monde n’a point de prix sans vin et sans échanson; il n’a point de prix sans les sons mélodieux de la flûte de l’Irak. J’ai beau observer les choses d’ici-bas, je n’y vois que la joie et le plaisir qui aient du prix : le reste n’est rien.
85
Sois sur tes gardes, ami, car tu seras séparé de ton âme : tu iras derrière le rideau des secrets de Dieu. Bois du vin, car tu ne sais pas d’où tu es venu; sois dans l’allégresse, car tu ne sais pas où tu iras.
86
Puisque notre départ d’ici-bas est certain, pourquoi donc être? Pourquoi nous acharner ainsi à vouloir atteindre le bonheur, l’impossible? Puisque, pour une raison inconnue, on ne doit pas nous laisser ici, pourquoi ne point nous occuper de noire voyage futur, pourquoi être insouciant h cet égard1?
87
Il y a un siècle que je chante les louanges du vin et que je ne m’entoure que d’accessoires qui s’y rapportent. Ô dévot! puisses-tu être heureux ici-bas avec ta conviction d’avoir pour maître la sagesse! Mais apprends du moins que ce maître n’est encore que mon élève.
85
Le monde ne cesse de me qualifier de dépravé. Je ne suis cependant pas coupable. O hommes de sainteté! examinez-vous plutôt vous-mêmes et voyez ce que vous être. Vous m’accusez d’agir contrairement au chèr’e (loi du Koran); je n’ai cependant pas commis d’autres péchés que l’ivrognerie, la débauche ni l’adultère.
80
Si tu te livres à tes propres passions, à ton insatiabilité, je puis te prédire que tu partiras pauvre comme un mendiant. Vois plutôt qui tu es, d’où tu viens, aie la conscience de ce que lu fais, sache 0ù tu vas.
90
L’univers n’est qu’un point de noire pauvre existence. Le Djélioun (Oxus) n’est qu’une faible trace de nos larmes mêlées de sang; l’enfer n’est qu’une étincelle des peines inutiles que nous nous donnons. Le paradis ne consiste qu’en un instant de repos dont nous jouissons quelquefois ici-bas.
91
Je suis un esclave révolté : où est ta volonté? J’ai le cœur noir de péchés : où est la lumière, où est ton contrôle? Si tu n’accordes le paradis qu’à notre obéissance (à les lois), c’est une dette dont tu t’acquittes, et dans ce casque deviennent ta bienveillance et ta miséricorde?
92
Je ne sais pas du tout si celui qui m’a créé appartenait au paradis délicieux ou à l’enfer détestable. (Mais je sais) qu’une coupe de vin, une charmante idole et une cithare au bord d’une prairie, sont trois choses dont je jouis présentement, et que toi tu vis sur la promesse qu’on te fait d’un paradis futur.
93
Je bois du vin, et ceux qui y sont contraires viennent de gauche et de droite pour m’engager à m’en abstenir, parce que, disent-ils, le vin est l’ennemi de la religion. Mais, pour cette raison même, maintenant que je me tiens pour adversaire de la foi, je veux, par Dieu, en boire, car il est permis de boire le sang de son ennemi.
- Quatrains de Omar Khayyam, suite 5