Omar Khayyam
Écrivain et poète – Quatrains – Moyen-âge
QUATRAINS ou RUBAIYAT : Khayyam – 1 – 2 – 3 – 4 – 5
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Je ne suis digne ni de l’enfer, ni du séjour céleste; Dieu sait de quelle terre il m’a pétri. Je suis hérétique comme un deryiche, laid comme une femme perdue; je n’ai ni religion, ni fortune, ni espérance du paradis.
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Ta passion, homme, ressemble en tout à un chien de maison; il n’en sort que des sons creux. Elle contient la ruse du renard, elle procure le sommeil du lièvre, elle réunit en elle la rage du tigre et la voracité du loup.
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Qu’elles sont belles, ces verdures qui croissent aux bords des ruisseaux ! On dirait qu’elles ont pris naissance sur les lèvres d’une angélique beauté. Ne pose donc pas sur elles ton pied avec dédain, puisqu’elles proviennent du germe de la poussière d’un visage coloré du teint de la tulipe.
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Chaque cœur que (Dieu) a éclairé de la lumière de l’affection, que ce cœur fréquente la mosquée ou la synagogue, s’il a inscrit son nom dans le livre de l’amour il est affranchi et des soucis de l’enfer et de l’attente du paradis.
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Une gorgée de vin vaut mieux que le royaume de Kavous ; elle es! préférable au trône de Kobad, à l’empire de Thousse ses soupirs auxquels le matin un amoureux est en proie sont préférables aux gémissements des dévots hypocrites.
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Bien que le péché m’ait rendu laid et malheureux, je ne suis cependant pas sans espoir, semblable en cela aux idolâtres, qui se reposent sur les dieux de leurs temples. Toutefois, le malin où je mourrai de mon ivresse de la veille, je demanderai du vin, j’appellerai ma maîtresse, car, que m’importent et le paradis et l’enfer ?
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Si je bois du vin, ce n’est pas pour ma propre satisfaction; ce n’est pas pour commettre du désordre ou pour m’abstenir de religion et de morale : non, c’est pour respirer un moment en dehors de moi-même. Aucun autre motif ne me sollicite à boire et à m’enivrer.
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On affirme qu’il y aura, qu’il y a même un enfer. C’est une assertion erronée; 011 ne saurait y ajouter foi. car, s’il existait un enfer pour les amoureux et les ivrognes, le paradis serait, dès demain, aussi vide que le creux de ma main.
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On m’engage à ne point boire de vin durant le mois de chèèban, parce que c’est défendu, ni même pendant le mois de rèdjèb, parce que c’est un mois consacré à Dieu. C’est juste; ces deux mois appartiennent à Dieu et au Prophète; buvons-en donc dans le mois de remezan, puisque c’est un mois qui nous est réservé.
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Le mois de rèmèzan est venu, la saison du vin est finie, oui, les jours de ce vin limpide et de nos habitudes si simples ont fui loin de nous. Hélas! notre provision de vin nous reste intacte, et les jeunes femmes que nous avons rencontrées sont dans une cruelle attente .
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Ce vieux caravansérail que Ion nomme le monde, ce séjour alternatif de la lumière et des ténèbres, n’est qu’un reste de festin de cent potentats comme Djèmchid. Ce n’est qu’une tombe servant d’oreiller a cent monarques comme Bèliram.
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Pourquoi, aujourd’hui que la rose de ta fortune porte ses fruits, la coupe est-elle absente de ta main? Bois du vin, ami, bois, car le temps est un ennemi implacable, et retrouver un jour pareil est chose difficile.
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Ce palais où Bèhram aimait à prendre la coupe dans sa main (est maintenant transformé en une plaine déserte) où la gazelle met bas, où le lion se repose. Vois ce Bèhrain qui, au moyen d’un lacet, prenait les ânes sauvages, vois comme la tombe à son tour a pris ce même Bèhram!
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Les nuages se répandent dans le ciel et recommencent a pleurer sur le gazon. Oh! il n’est plus possible de vivre un instant sans vin couleur d’amarante. Cette verdure réjouit aujourd’hui notre vue, mais relie qui germera de noire poussière, la vue de qui réjouira-t-elle ?
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En ce jour d’aujourd’hui que l’on nomme adinè (vendredi), laisse là la coupe (trop petite) et bois du vin dans un bol. Si les autres jours lu n’en buvais qu’un (bol), aujourd’hui bois-en deux, car c’est le grand jour par excellence .
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Ô mon cœur! puisque ce monde t’attriste, puisque ton âme si pure doit se séparer de ton corps, va t’asseoir sur la verdure des champs et réjouis-toi pendant quelques jours, avant que d’autres verdures jaillissent de la propre poussière.
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Ce vin qui, par son essence, est susceptible d’apparaître sous une foule de formes, qui se manifeste tantôt sous la forme d’un animal, tantôt sous celle d’une plante, ne va pas croire pour cela qu’il puisse ne plus être et que son essence puisse être anéantie: car c’est par elle qu’il est, bien que les formes disparaissent.
- Quatrains de Omar Khayyam, suite 4