Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – Testament expliqué par Ésope
Commentaires et analyses sur “Testament expliqué par Esope ” de MNS Guillon – 1803
- Testament expliqué par Esope.

Phèdre, en donnant à cette histoire le nom de fable, fabuba, n’a pu l’étendre au-delà de son acception naturelle. Ce mot prenant son étymologie dans le verbe fari, parler, ne veut dire autre chose que récit d’un événement vrai on faux, peu importe. Quant les Latins veulent particulariser , ils ont soin, en général, de s’expliquer par une épithète qui ne laisse point d’équivoque.
Fictis nos jocari meminerit fabulis. Ainsi, bien que l’anecdote présente se trouve consignée dans un recueil de fables , il ne faut pas en conclure que le fonds en soit fabuleux. On n’y voit absolument rien , ni pour la nature du sujet , ni pour le caractère des acteurs, qui sorte du cercle des possibilités humaines. La Fontaine, en l’appelant une histoire, sembla infirmer qu’il ne la regardait point comme un apologue.
Faudra-t-il, par une conséquence tout opposée, inférer que le fait est vrai ? Mais quels écrivains l’avoient transmis au siècle d’Auguste? Dans quels mémoires secrets Phèdre l’avait-il puisé ? Est-ce bien là le style d’Ésope ? du moins les écrivains qui ont forgé on copié le roman de la vie d’Ésope, ont-ils été fidèles au costume ? C’est par des apologues que le prétendu père de l’apologue exprime cette haute sagesse dont on lui fait tant d’honneur. A quelle époque sera-t-il permis d’assigner son séjour à Athènes , sans y découvrir un absurde anachronisme ? En supposant même qu’Ésope ait voyagé dans l’Attique, à quel titre aura-t-il parlé devant les Athéniens ? On sait qu’à Athènes un étranger qui se mêlait dans rassemblée du peuple était puni de mort. ( Voyez Libanius , Déclam. 17 et 18.) C’est, ajoute l’auteur de l’Esprit des loi, qu’un tel homme usurpait la souveraineté du peuple (Liv. II. ch. 2. ); et les Athéniens étaient aussi jaloux de la gloire de l’esprit que de leur souveraineté. Au reste, sans nous engager davantage dans une difficulté sur laquelle nous pourrons offrir à la curiosité du lecteur des discussions approfondies et des résultats nouveaux, dans un mémoire particulier, osons affirmer que l’anecdote présente n’est point à la vérité une fable , mais simplement une historiette imaginée par Phèdre, et traduite sans garantie par La Fontaine, qui a su en faire un chef-d’œuvre de narration.
Nous remarquerons que La Fontaine écrivant Ésope par un E simple, éloigne ce nom de son étymologie ; en grec , Aironos ; la diphthongue ai doit se retrouver en français comme en latin: de là Esopus ; il faut donc dire à Ésope. Cette observation n’est ni étrangère, ni indifférente à l’histoire même de l’apologue.
Au reste, cette fable, malgré son apparente sécheresse, est une de celles qui font le mieux ressortir le prodigieux talent de La Fontaine. La prose ne serait pas exprimée avec une aisance plus gracieuse et plus indépendante: c’est parfaitement là le style de la chose. Il est vrai que le poète français avait un excellent modèle dans la fable de Phèdre ; mais comparez les langues et les écrivains : quelle différence ! II eut été pardonnable à La Fontaine de tester au-dessous. Qu’est-ce donc que de l’avoir surpassé?
(1) Que tout l’Aréopage. Tribunal d’Athènes, qu’il ne faut pas confondre avec le sénat, comme l’a fait M. Coste. Il était si reconnu pour sa sagesse, que les Dieux mêmes vinrent porter leurs causes à son jugement.
(2) Chacune sœur. Style de pratique ; et ce mot chacune , au lien de chaque, fait très-bien en cet endroit. (Champfort. )
(3) Y jettent leur bonnet. Il ne faut pas aller chercher bien loin le sens de cette expression proverbiale : quand l’avocat pérore , il se couvre de son bonnet ; a-t-il fini, il se découvre et jette son bonnet, parce qu’il n’a plus rien à dire. On retrouve ce mot dans Florian :
Et l’auditoire s’étonnait Qu’il n’y jetât pas son bonnet.
(Liv. IV. f. 15,)
(4) En l’un les maisons de bouteille. Maisons de plaisance où l’on va se livrer aux plaisirs de la table, vide-bouteilles. Dans Phèdre : domum luxuriœ, maison de plaisir où l’on fait beaucoup de dépense pour se divertir.
(5) Qu’un homme seul. L’histoire va bien plus loin. «Le plus grand malheur des hommes, dit Hérodote, c’est que les plus sages d’entre eux sont toujours ceux qui ont le moins de crédit ». (L. IX. chap. 16. ) Et l’expérience confirme le jugement du fabuliste et de l’historien. (Testament expliqué par Ésope)