Fable Le Chêne et le Roseau expliquée par Bernardin de Saint-Pierre.
Fable Le Chêne et le Roseau – La Fontaine représente toutes les puissances de la nature en action dans ce partage. On y voit le soleil, le vent, l’orage, l’eau, une grande montagne, un chêne et un roseau, enfin un roitelet, puissance animale. Il n’y a pas de doute que si son sujet eût comporté un personnage humain, et surtout une nymphe, il ne l’eût rendu plus intéressant. Mais, à son défaut, il personnifie ses deux acteurs inanimés ; il donne au chêne un front au Caucase pareil, un dos qui ne courbe jamais, une tête au ciel voisine, et des pieds qui touchent a l’empire des morts. Il lui suppose des sentiments convenables à sa taille, un orgueil protecteur, une compassion dédaigneuse ; il lui oppose un faible roseau, jouet des vents, mais humble, patient, content de son sort, et qui trouve sa sûreté dans sa faiblesse même. Il relève ensuite, par des expressions sublimes, son site naturellement circonscrit, et y ajoute des lointains par des images accessoires. Il appelle les marais, humides bords des royaumes du vent; il peint le vent lui-même en le personnifiant. Enfin, arrive la catastrophe, pour servir d’éternelle leçon aux grands et aux petits. La moralité de cette fable n’est point récapitulée en maxime au commencement ou à la fin, comme dans les autres fables de la Fontaine ; mais elle est répandue partout, ce qui vaut encore mieux.
C’est le lecteur lui-même, et non l’auteur, qui la tire. Lorsqu’elle est entremêlée avec la fiction, la fable ressemble à ces riches étoffes où l’or et la soie sont filés ensemble, Cependant la morale de celle-ci parait se montrer dans les expressions mêmes de sa dernière image. Elles conviennent également au chêne orgueilleux déraciné par le vent, et aux grands de la terre renversés par des causes souvent aussi légères.
La fable de Jean de la Fontaine :
Le chêne et le Roseau
L e Chêne un jour dit au Roseau :
“Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet* pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent*.
La nature envers vous me semble bien injuste.
– Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. “Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
“Fable Le Chêne et le Roseau expliquée”
- Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre – 1737 – 1814