Sébastien-Roch-Nicolas Chamfort
Commentaires et analyses de S.-Roch-Nicolas Chamfort – 1796.

Je ne connais rien de plus parfait que cet Apologue. Il faudrait insister sur chaque mot pour en faire sentir les beautés. L’auteur entre en matière sans prologue, sans morale. Chaque mot que dit le chêne fait sentir au roseau sa faiblesse.
V. 3. Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure r
Fait rider la face de l’eau , etc.
Et puis tout d’un coup l’amour-propre lui fait prendre le style le plus pompeux et le plus poétique.
V. 8. Cependant que mon front au Caucase pareil, non content, etc.
Puis vient le tour de la pitié qui protège, et d’un orgueil mêlé de bonté.
V. 12. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage.
Enfin il finit par s’arrêter sur l’idée la plus affligeante pour le roseau, et la plus flatteuse pour lui-même.
Le Chêne un jour dit au Roseau :
« Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent*.
La nature envers vous me semble bien injuste.
– Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. « Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.
V. 18. La nature envers vous me semble bien injuste.
Le roseau dans sa réponse rend d’abord justice à la bonté du cœur
que le chêne a montrée. En effet, il n’a pas été trop impertinent,
et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité. Enfin le roseau
refuse sa protection , sans orgueil, seulement parce qu’il n’en a pas
besoin :
V. 2o. Je plie et ne romps pas.
Arrive le dénouement ; La Fontaine décrit l’orage avec la pompe de style que le chêne a employée en parlant de lui-même.
V. 37. Le plus terrible des enfant
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
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V. 3o Le vent redouble ses efforts
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine ,
Et dont les pieds, touchaient à l’empire des morts,
Remarquez que La Fontaine ne s’amuse pas plus a moraliser à la fin de sa fable qu’au commencement. La morale est toute entière dans le récit du fait.
Cet Apologue est non-seulement le meilleur de ce premier livre , mais il n’y en a peut-être pas de plus achevé dans La Fontaine. Si l’on considère qu’il n’y a pas un mot de trop , pas un terme impropre, pas une négligence ; que dans l’espace de trente vers, La Fontaine en ne faisant que se livrer au courant de sa narration , a pris tous les tons, celui de la poésie la plus gracieuse , celui de la poésie la plus élevée ; on ne craindra pas d’affirmer qu’à l’époque où cette fable parut, il n’y avait rien de ce ton là dans notre langue. Quelques autres fables , comme celle des animaux malades de la peste , présentent peut-être des leçons plus importantes, offrent des vérités qui ont plus d’étendue, mais il n’y en a pas d’une exécution plus facile. (Le chêne et le Roseau commentée).