Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – L’Aigle, la Laie, et la Chatte
L’Aigle, la Laie, et la Chatte analyses et commentaires de MNS Guillon – 1803
- L’Aigle, la Laie, et la Chatte.
(2) Par sa fourbe. Ce mot n’est plus guère usité qu’en adjectif; c’est dommage qu’il ait vieilli. L’on aurait du, ce me semble, conserver religieusement des termes consacrés par l’usage qu’en ont fait un Malherbe, un Corneille, un La Fontaine.
(3) Grimpa est le mot propre.
(4) . . . . Notre mort Au moins de nos enfant, car c’est tout un aux mères. Le Sinon de Virgile, qui va tromper les Troyens, n’a .pas une éloquence plus adroite ni plus insinuante. La Chatte parle a des mères: elle les attaque par l’endroit faible, la tendresse maternelle. S’il n’y avait de danger que pour nous, on pourrait en douter ou s’en moquer: mais nos enfants ! Le moyen de n’être pas persuadé ?
(5) Ne tardera possible guère. Vieille tournure : il n’est guère possible que notre mort soit différée. Ce langage antique donne à l’air de bonne-foi quelque chose de plus entraînant. Antiqua fides, disent les latins.
(6) Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine ?
II n’y a point là de témoins étrangers, suspects ;
vous le voyez. Incessamment vaut mieux que à toute heure. Maudite n’est point ici une injure : c’est un sentiment vrai échappé à la tendresse alarmée. Creuser une mine. Quelle image ! ce bruit de guerre étourdit, ôte la faculté de l’examen.
(7) C’est pour déraciner le chêne assurément. Plus l’exécution d’un pareil dessein est difficile, plus l’affirmation du traître devient pressante. Assurément jeté à la fin du vers, arrête et fixe l’imagination de l’Aigle et tout de suite le spectacle de ses enfants dévorés : L’arbre tombant, ils seront dévorés.
(8) S’il m’en restait un seul. Le pathétique est à son comble. L’impitoyable ennemi est comme la mort ; il ne nous en laissera pas un pour pleurer ensemble la perte de tous les autres.
(9) Au partir,comme on dit au sortir. Ce dernier est français; l’autre ne l’est pas,ou ne l’est que dans les anciens livres. ( Voyez Rabelais, T. I. p. 304. Froissart, Vol. III. ch. 91.p.252.) La Fontaine l’ a dit encore dans ces vers : Enfin cette âme au partir Du corps d’une beauté qui, etc. ( Œuvres div.. T. I. p. 249.)
(10) Était en gésine. Venait de mettre bas ses petits. On lit dans un manusc. du XVIe. siècle, sous le titre:les Honneurs de la Cour : « Elle voulait que madame sa fille fit comme elle avait fait en gésines de messieurs ses enfants ». D’où vient le vieux mot gésir y être en couches. ( Ibid. )
(11) Ma bonne amie et ma voisine, etc. On n’a point assez flétri ce caractère de l’intrigant, semant la division et la calomnie, mélange atroce de perfidie et d’avarice, forgeant dans l’ombre, parce qu’il en veut aux dépouilles. Pourquoi cette honteuse amnistie accordée au plus dangereux ennemi de la société ? Serait-ce parce que ces caractères sont plus odieux que ridicules ; que la comédie n’a des traits que contre le vice , et non point un glaive pour en frapper la scélératesse; qu’elle veut des dupes et non des victimes ; et qu’il faut contre ces sortes de criminels, ainsi que contre les assassins et les empoisonneurs, un autre supplice que le pilori? Mais c’en est un du moins. Cette vengeance, toute légère qu’elle est, empêche la prescription du crime; elle satisfait an vœu de l’homme juste, et l’avertit de se tenir en garde contre ses propres vertus ; elle éveille l’œil de la justice, et lui montre ses devoirs: avant de châtier le coupable, on peut lui arracher le masque qui le couvre. Ainsi Molière eut le courage de dénoncer le Tartuffe, et le courage plus grand encore de l’envoyer à la Grève. Serait ce encore parce qu’un tel caractère exigerait impérieusement une force d’intrigue et de situation, ce jeu dans les contrastes et les mélanges, ce vis comica dont Molière semble avoir emporté le secret avec lui dans le tombeau ? Mais pourquoi ne pas l’essayer ? L’entreprise seule en serait sans doute honorable. Que l’on en juge par le succès du Méchant. Cette pièce, malgré le vague et la faiblesse de son principal personnage, qui se Confond avec le Menteur; malgré la médiocrité de l’action, bornée à une petite intrigue épistolaire ; malgré la froideur de son dénouement, qui ne laisse pas même le remord pour punition a ce fourbe exécrable, Indigne du nom d’homme, un monstre abominable. (Act. V. sc. 4.) Cette pièce, dis-je, est toujours applaudie. Ces suffrages constant ne sont-ils dus , comme on l’a dit, qu’à sa belle versification ? Je ne le crois pas. On voit avec reconnaissance cette première amende honorable que le talent impose au crime ; et l’on plaint le génie d’être resté si fort au-dessous de ses obligations, moins peut-être par défiance de ses propres forces, que par un respect servile pour les caprices d’une nation à qui il ne fallait alors présenter que des caractères adoucis par les égards, et des vices palliés par les bienséances. Quoi qu’il en soit, si quelque nouvel Aristophane ose achever la réparation solennelle due à tant de victimes de la fourbe, il trouvera dans l’apologue de La Fontaine une excellente miniature à étendre, un modèle parfait d’éloquence, de finesse et de naturel.
(12) Dans cette autre famille ayant semé l’effroi, La Chatte en son trou se retire. Le second discours de la Chatte n’est pas aussi développé que le premier. 1°. Elle ne fait pas à la Laie, animal sauvage et grossier, l’honneur de croire qu’il faille tant de ressorts pour entraîner sa confiance : ma bonne amie et ma voisine en ont dit assez. 2°. Elle craindrait de se rendre suspecte, en rendant à cette commune ennemie une visite qui fût remarquée de l’Aigle : comme elle lui a parlé tout bas, ainsi elle ne sort qu’à la dérobée. Phèdre a bien saisi cette idée : Hune quoque timore postquàm complovit locnm , Dolosa tuto condidit sese cavo.
(13) Grand renfort. Renfort ne se dit plus que d’une recrue d’hommes, et non d’une nouvelle provision de bouche.
(14) Que ne sait point ourdir une langue traîtresse ! Métaphore aussi vraie que noble. Une intrigue est un tissu dont on ourdit la trame. Ménage remorquait de son temps une certaine prévention, (Tome I.) qui déjà éloignait ce mot du style poétique : il le regrettait avec d’autant plus de raison, qu’outre la beauté de la métaphore, il avoit pour lui l’usage des Italiens, qui s’en servent souvent et très heureusement. ( Voy. ses Observ. sur Malherbe, p. 275. )
(15) La botte de Pandore. Vulcain avait fait une belle statue que Prométhée anima, et qui reçut à sa naissance un présent de chacun, Des Dieux ; de-là le nom de Pandore, c’est-à-dire, assemblage de tous les dons. Epiméthée, son époux, lui donna une botte où étaient renfermés tous les maux, avec injonction de ne pas l’ouvrir. La curiosité l’emporta : la botte fatale fut ouverte. Tous les maux s’échappèrent; il ne resta au fond que l’espérance.
(16) C’est la fourbe. Substantif bien plus énergique que fourberie. Boileau : Je n’aperçois par-tout que folle ambition, Faiblesse, iniquité, fourbe, corruption. (Sat. XI)