Marie-Nicolas-Silvestre Guillon
Théologien, prêtre – Analyses – Le Meunier, son Fils, et l’Âne
Commentaires et analyses sur “Le Meunier, son Fils, et l’Âne” de MNS Guillon – 1803
- Le Meunier, son Fils, et l’Âne.
(1) A M. de Maucroix, François de Maucroix, chanoine de Rheims, avait paru d’abord se consacrer à la profession d’avocat qu’il exerça jusqu’à l’âge de 3o.ans. On voulut alors l’engager à se marier : sur quoi il fit sa fameuse épigramme contre le mariage, sans contredit le meilleur de ses ouvrages. Fidèle au principe qui la lui avait dictée, au moment où l’on s’y attendait le moins, il prit le parti de l’église. Ses amis en murmurèrent : ils le voyaient à regret quitter Paris ; et ce fut à ce sujet que La Fontaine lui adressa cette fable. Nous avons de Maucroix un recueil de vers et de prose, et des traductions parmi lesquelles il faut distinguer la lettre de Bru tus à Cicéron.
(2) L’invention des arts étant un droit d’aînesse. C’est-à-dire, l’invention des arts étant due à des peuples venus avant nous, par conséquent les aînés dans cette vaste famille, qui se compose de tous les hommes de lettres de tous les âges.
(3) Nous devons l’apologue à l’ancienne Grèce. Affirmons, parce que nous l’avons démontré dans notre Histoire universelle de l’Apologue, que l’apologue fleurissait bien long-temps avant d’être connu des Grecs.
(4) Autrefois à Racan, Malherbe l’a conté. « A son retour de Calais, où il fut porter les armes en sortant de page, il consulta Malherbe sur le genre de vie qu’il devait choisir. Malherbe, au lieu de lui répondre directement là-dessus, lui raconta cet ingénieux conte du Pogge, dont La Fontaine a fait une de ses plus jolies fables, intitulée : Le Meunier, etc. (D’ 01ivet, Hist. de l’Académ. fr. p. 127. éd. de Paris, 1730.) — Racan est célèbre par ses Bergeries ou Poésies pastorales. Boileau en fait souvent l’éloge : tout le monde sait les vers où ce poète parle de lui avec tant d’estime. Citons ici le témoignage que lui rend M. de Maucroix, dans une lettre où il le compare avec Malherbe. « Malherbe, dit-il, croit de réputation à mesure qu’il s’éloigne de son siècle. La vérité est pourtant, et c’était le sentiment de notre cher ami Patru, que la nature ne l’avait pas fait grand poète ; mais il corrige ce défaut par son esprit et par son travail… Racan avait plus de génie que lui ; mais il est plus négligé, et songe trop à le copier : il excelle sur-tout, à mon avis, à dire les petites choses ; et c’est en quoi il ressemble plus aux anciens, que j’admire sur-tout par cet endroit » ( Lettre de Maucroix à Boileau, dans les œuvres de ce dernier , T. IV. p. 170.) Racan avait laissé des mémoires pour la vie de son illustre ami. Ce sont ceux-qui ont servi à Ménage pour son édition des Œuvres de Malherbe, ainsi qu’à la belle édition de 1757, ( I vol. in-8°. Paris, Barbou.)
(5) Pensers, au lieu de pensées. Ce mot, très-fréquent dans les anciens auteurs, n’a vieilli que depuis Louis XIV. On le retrouve encore dans Bossuet, à qui il présentait quelque chose de bien plus vaste que la simple pensée.
(6) La guerre a ses douceurs, l’hymen a ses alarmes. Vers charmant, par le contraste des images qu’il rassemble, par la forme précise et sentencieuse dans laquelle ces images se trouvent renfermées.
(7) Si je suivait mon goût, je saurais où buter : à quel but tendre. Sec et peu agréable à l’oreille ». Chamfort.
(8) J’ai tu dans quelqu’endroit. Dans les fables de Faerne, qui l’avait pris de Pontanus. ( In Antonio.)
(9) Mais garçon de quinze ans. Toujours et par-tout, ce charme de narration, cette grâce facile et naturelle du bonhomme !
(10) Afin qu’il fût plus frais et de meilleur débit. Le poète est entré dans la pensée de ses acteurs : il a lu dans leur âme leurs de-sirs , leurs espérances leurs calculs »
(11) De rire s’éclata. Il faudrait dire : éclata de rire. Cette faute de langage se trouvait alors autorisée par bien des exemples :
Un chacun commença de s’éclater de rire.
(Hist. macaron, page 155.)
(12) Le plus Âne des trois n’ est pas celui qu’on pense. Un dé ces vers devenus proverbes, comme mille autres de La Fontaine. L’espèce d’énigme dont s’enveloppe cette pensée adoucie ce que l’épigramme aurait de trop dur, et donne au lecteur le plaisir d’en deviner le mot.
(13) N’en a cure. Du latin cura, souci, soin. « Mais vous n’avez ni soin ni cure. » ( H. Etienne. Apologie pour Hérodote , T. II. page 489.)
(14) Oh ! là, oh ! Tant biatus déplaît même en prose. Mais l’imitation fidèle se trouve si bien à sa place, qu’on en accuse moins l’écrivain que la langue. Ces interjections continues paraissent ne faire ici qu’un seul mot. Malherbe en a quelques-unes de ce genre , lesquelles ont été justifiées par Ménage , dans ses observations sur ce poète.
(15) Jeune homme qui menez laquais à barbe grise. Son vieux père suivant à pied, a l’air du laquais de Monsieur.
(16) C’est grand’honte,
Qu’il faille voir ainsi, etc. Qui est-ce qui tient ce langage ? Ce sont de jeunes filles. Faerne n’a pas eu cette délicatesse, ce tact des bienséances, de mettre en œuvre l’étourderie du jeune âge, et l’indiscrète sensibilité d’un sexe trop facile à précipiter ses jugements. Clocher ce jeune fils. A les entendre, il en est déjà tout boiteux ; sans pitié pour sa jeunesse ! Une mère n’a pas une tendresse plus inquiète pour son fils, Que d’images en si peu de mots !
(17) Tandis que ce nigaud, comme un Évêque assis , Fait le veau sur son Âne. Le contraste est piquant. Que d’honnêteté pour le fils, d’amertume pour le vieillard ! Comme un Évêque. Plus haut il avait dit : le portent comme un lustre : ce qui voulait dire avec des précautions religieuses, pour ne pas heurter. De même ici : comme un Évêque ; avec une gravité portée jusqu’à la mollesse. L’injure et l’ironie ne sont point ménagées : voilà bien les arrêts du public. Fait le veau. ” En parlant d’un jeune homme qui s’étend nonchalamment ; on dit dans le style familier, qu’il s’étend comme un veau, qu’il fait le veau “. ( Dict. de l’Acad. franç. Sur cette expression en elle-même, voyez Le Duchat, Notes sur Rabelais , T. V. éd. d’Amst. p. 201.)
(18) Est bien fou du cerveau ,
Qui prétend contenter tout le monde et son père. Naïveté charmante devenue proverbe. Est-ce que les pères font classe à part dans le monde ?
(19) L’Âne se prélassant. Ce mot est de Rabelais.Un Âne qui prend l’air grave et majestueux d’un Prélat en fonctions ! Ces sortes de rapprochements un peu malins sont toujours sûrs de plaire, comme dans ces vers de Boileau :
Un Valet le suivait marchant à pas comptés, Comme un Recteur suivi des quatre Facultés.
(20) Un quidam les rencontre, etc. Ce mot n’est point mis là sans dessein. Ainsi un premier venu, un quidam, s’érige en arbitre, en censeur ! La Fontaine pouvoit bien s’appliquer à lui-même le sens de son apologue, comme on en peut juger par la plainte exprimée dans ces vers adressés à madame de Thyange :
Les conseils ? et de qui ? du public. C’est la ville, C’est la cour, et ce sont toutes sortes de gens, Les amis, les indifférents, etc.
( Œuvres mêlées, T. I. p. 93. )
(21) Car quand il va voir Jeanne. « La Fontaine, après nous avoir parlé de quolibets coup-sur-coup renvoyés, pouvait nous faire grâce de celui-là». L’imitation de la nature ne doit pas descendre jusqu’à la trivialité. (Le Meunier, son Fils, et l’Âne).