Introduction –1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11
l’amour mystique et la voie spirituelle (Tarikat)
Qu’ils sont heureux ces égarés de l’amour (divin) ! heureux de leur blessure et du baume qui en adoucit la souffrance! Mendiants dédaigneux de la royauté, un espoir immense allège leur misère. Ils s’abreuvent sans cesse à la source délicieuse (du verset) : Ne suis-je pas votre maître? et se taisent sur les amertumes de la vie. La torpeur gâte l’ivresse que le vin procure, le buisson défend l’accès de la rose (1) ; mais la pensée de la beauté suprême calme pour eux les angoisses de l’attente ; une main adorée change le fiel en sucre. Ceux que l’amour captive ne songent plus à fuir, ils ne cherchent pas à rompre le filet qui les enserre. Ces mendiants de la rue sont les rois de la voie spirituelle ; ils en connaissent toutes les stations, mais leurs traces restent inconnues (c’est-à-dire ils vivent ignorés de la foule). Ivres d’amour, ils supportent toutes les injures; tel le chameau que le rut aiguillonne, porte plus légèrement son fardeau (voir Gulistân). Qui pourrait troubler leur félicité ? ne sont-ils pas enveloppés de ténèbres, comme la source de la vie (2) ? Ils ressemblent à la ville sainte (Jérusalem) pleine au dedans de sanctuaires, au dehors de remparts ruinés. — Ils se brûlent d’eux-mêmes à la flamme du flambeau comme le papillon, au lieu de s’envelopper d’un tissu brillant, comme le ver à soie. L’objet aimé est dans leurs bras et ils le cherchent encore, le ruisseau coule près d’eux et la soif dessèche leurs lèvres ; ce n’est pas que la source leur fasse défaut, mais le Nil tout entier ne pourrait les désaltérer.
L’amour d’une créature formée comme toi de limon bannit le calme de ton cœur ; son visage orné de gracieuses éphélides trouble tes journées; son image hante sans cesse le sommeil de tes nuits. Prosterné à ses pieds, tu ne fais plus aucun cas de ce monde ; si l’or n’a pas de prix à ses yeux, il devient pour toi aussi vil que la poussière ; la vie avec d’autres ne t’est plus possible, car dans ton cœur il n’y a point de place pour d’autres que pour elle. Il semble que son image soit fixée dans tes yeux et pourtant si tu fermes tes paupières, tu la retrouves dans ton cœur. Tu n’as plus de souci du blâme des censeurs, plus de force pour l’éloigner. Si elle veut ta vie, elle la trouve sur tes lèvres tremblantes, si elle tire le glaive du fourreau, tu tends le cou. Eh bien ! puisqu’un pareil amour bâti sur des chimères est plein de troubles et de tourments, comment s’étonner que les disciples de la doctrine, perdus dans l’océan de l’idéal, deviennent, en aimant, indifférents à l’existence, et que la pensée de l’être adoré les emporte loin de ce monde ? Absorbés par la recherche de la vérité, ils fuient la société de l’homme ; enivrés d’amour pour l’échanson, leurs mains laissent échapper la coupe (3). Leur souffrance ne comporte pas de soulagements et ils la dérobent à tous les yeux.
Ne suis-je pas votre Seigneur ? De toute éternité ces mots retentissent à leurs oreilles et le oui (prononcé par les âmes) vibre encore dans leur cœur Anachorètes vigilants et actifs, ils ont les pieds poudreux de la poussière de la route, mais un souffle de feu circule dans leur être. Ils sont, comme le vent, invisibles et impétueux, immobiles et muets comme la pierre; leur cœur murmure une prière qui ne finit jamais. Les larmes qu’ils répandent dès l’aurore chassent de leurs paupières la langueur (litt. le collyre) du sommeil ; ils crèvent leurs chevaux pendant la nuit et, le matin venu, ils gémissent d’être restés en arrière. Plongés nuit et jour dans la tristesse et les désirs brûlants, ils ne savent plus distinguer le jour de la nuit. La beauté du créateur les ravit en une telle extase, qu’ils oublient la création tout entière. Les vrais soufis ne s’abandonnent pas aux attachements de la chair, car c’est folie de céder à des attraits de ce genre : pour savourer le pur breuvage du monothéisme, il faut avoir perdu la notion de ce monde et du monde futur.
Le mendiant amoureux.
Un fils de mendiant tomba amoureux de la fille d’un roi ; il allait promenant ses folles espérances et mordu au cœur par des désirs insensés. Il se tenait sur son chemin, immobile comme la borne de l’hippodrome ; il s’attachait à ses pas comme l’éléphant au cavalier dans le jeu d’échecs. Son cœur saignait silencieusement et ses larmes coulaient abondantes (4). Des surveillants jaloux surprirent bientôt la cause de sa douleur et lui défendirent l’accès de ces parages. Il partit, mais le souvenir de la beauté adorée le ramena près des lieux qu’elle habitait. Un des pages de la princesse le meurtrit de coups en lui rappelant la défense qui lui avait été faite ; il partit encore ; mais comment se serait-il résigné, comment aurait-il pu vivre loin de celle qu’il aimait ? En vain on le chassait, semblable à une mouche qu’on éloigne du sucre, il revenait aussitôt. — « Quelle audace, quelle folie est la tienne, lui dit quelqu’un, es-tu donc insensible aux injures du bâton et des pierres ? » Il répondit : « Ces injures, c’est elle qui me les inflige, ai-je donc le droit de m’en plaindre ? Que je sois traité en ami ou en ennemi, mon amour n’en recevra aucune atteinte. Mais n’espérez pas que je consente à vivre loin d’elle, moi qui, même à ses pieds, ne puis trouver le repos. Non, je n’ai pas le courage de supporter mes souffrances, ni de m’en affranchir. Sa demeure m’est interdite et je ne peux la fuir ; ne cherchez pas à me chasser de son palais, dût ma tête être clouée sur le seuil, comme un pilier de tente. Ne vaut-il pas mieux pour le papillon expirer au pied du flambeau que de vivre au fond des ténèbres ? — Mais si celle que tu aimes te frappe de son mail ? — Comme la balle, je tomberai à ses pieds. — Et si ta tête roule sous son glaive ? — Je suis prêt au sacrifice de ma vie. Ai-je encore souci de ma tête? que m’importe ce qui est suspendu sur elle, hache ou couronne ? Qu’on cesse donc de me reprocher mon défaut de résignation : amour et patience sont inconciliables. Mes yeux devraient-ils sécher comme ceux de Jacob, je garderais l’espérance de revoir Joseph (5). L’amant qui aime avec ivresse ne se plaint pas de quelques légères injures. » — Un jour, l’amoureux mendiant approcha ses lèvres de l’étrier de la princesse. Courroucée et dédaigneuse, elle détourna son cheval ; mais lui, souriant, s’écria : « Pourquoi t’éloignes-tu ? Un roi a-t-il souci d’un objet sans valeur ? Près de toi ma vie s’est anéantie, et ton amour a effacé en moi le sentiment de l’existence. Si je suis coupable, épargne-moi tes reproches ; c’est ta vie qui circule dans tout mon être. En effleurant de mes lèvres le bord de ton étrier, je prouve que je ne tiens plus compte de la vie : honneur, liberté, j’ai tout sacrifié, tout foulé aux pieds. Pourquoi ta main s’armerait-elle d’une épée, les flèches de tes yeux enivrés ne m’ont-elles pas percé le cœur ? Mets le feu aux roseaux et éloigne-toi laissant la flamme dévorer la forêt tout entière. »
L’anéantissement (fanâ). — Apologue de l’aimée.
Une danseuse belle comme une péri se balançait aux refrains des chanteurs. La flamme d’une bougie, que dis-je ? la flamme des cœurs qui brûlaient autour d’elle mit le feu à sa robe. En voyant son courroux et ses alarmes, un de ses adorateurs lui dit : « Pourquoi ce trouble, ô mon amie ? c’est ta robe seule qui a été atteinte, mais moi, c’est mon être tout entier qui se consume. » — L’amant sincère doit se dépouiller de l’existence : distinguer entre soi et l’objet aimé est un acte d’infidélité.
Un vieillard riche en souvenirs me racontait qu’un fou (d’amour mystique) s’était enfui dans le désert, laissant son père en proie à l’inquiétude, aux tourments de l’absence. Aux reproches qu’on lui adressait le jeune homme répondit : « Du jour où l’ami m’a réclamé comme son bien (6), je n’ai plus connu personne. Depuis que Dieu, et je le prends à témoin de mes paroles, s’est manifesté à moi dans sa beauté suprême, tout ce qui se présente à mes yeux n’est plus qu’un vain fantôme. L’amant qui rompt avec le monde ne s’égare pas, puisqu’il retrouve le bien (Dieu) qu’il avait perdu. »
Portrait des mystiques.
Il y a sous les deux une troupe de vagabonds auxquels il faut donner le nom d’anges et de bêtes fauves :
Anges, ils célèbrent sans cesse la gloire de leur roi ; bêtes fauves, ils fuient loin du contact des hommes. Ils ont à la fois la force et la faiblesse, la sagesse et la folie, la raison et l’ivresse. Tantôt paisiblement assis dans un coin, ils cousent une pièce à leur froc ; tantôt, dans leurs rondes inspirées, ils jettent ce froc dans les flammes. Ils n’ont plus de souci ni d’eux-mêmes ni des autres, nul n’est admis dans leur sanctuaire monothéiste. Leur raison est obscurcie, leur intelligence troublée, leurs oreilles se ferment aux conseils ; mais l’oiseau aquatique ne disparaît pas au milieu des flots ; la salamandre ne redoute pas l’ardeur du feu. Ils ont les mains vides et le cœur plein (de vérités) ; ils franchissent les déserts, loin de la caravane ; ils vivent, ces glorieux contemplatifs, loin des regards du monde et sous leur froc de derviche ils ne cachent pas une ceinture de mage (7). Comme la treille dorée, ils répandent l’ombre et les fruits, loin de nous ressembler à nous autres hypocrites vêtus de bleu (Cf. Gulistân, p. 337); pareils à la nacre où vit la perle, ils se renferment en eux-mêmes, indifférents à la fureur des flots.
O toi que la sagesse éclaire, fuis loin de ceux (les faux derviches) qui, sous des dehors humains, cachent la malignité des dives ; ceux-là ne sont pas des hommes, mais un mélange de chair et d’os, un moule dépourvu de vie et de sentiment. Un roi n’achète pas indistinctement tous les esclaves qu’on lui présente ; un cœur ne bat pas sous chaque froc de moine. Si chaque goutte de rosée devenait perle, le bazar en serait rempli comme il l’est de verroteries.
Les vrais initiés ne montent pas, comme les bateleurs, sur des échasses, frêle appui qui se dérobe bientôt. Dans le silence de la contemplation, ils sont enivrés par les mots Alesi (« ne suis-je pas votre Dieu ? » voir note 7) jusqu’au jour où retentiront les trompettes du jugement. Les menaces du glaive ne peuvent les détourner du but, car l’amour a détruit en eux la crainte, comme la pierre brise le verre.
L’amoureux de Samarcande.
Un homme à Samarcande était épris d’une belle dont les lèvres, en guise de paroles, distillaient du sucre (8). Sa beauté éclipsait la splendeur du soleil, ses grâces coquettes étaient l’écueil de la dévotion ; on aurait dit que Dieu, en créant une beauté si parfaite, avait voulu donner la preuve de son pouvoir sans bornes. Elle marchait et tous les yeux la suivaient, tous les cœurs s’offraient en rançon. Un jour, le pauvre amant la contemplait à la dérobée ; la belle le surprit et lui dit avec colère : « Insensé, pourquoi t’attachera mes pas ? Suis-je donc un oiseau fait pour tomber dans tes lacs ? Prends garde, si je te retrouve encore près de moi, ce poignard se plongera dans ton cœur comme dans le cœur d’un ennemi. » — Quelqu’un dit à l’amant : « Sois désormais sur tes gardes ; poursuis un but plus facile à atteindre ; il est à craindre que tu n’échoues et que tu ne payes ton amour de ta vie. » L’amoureux sincère entendit ces paroles et, soupirant avec tendresse, il répondit:
« Que mon corps frappé par un fer meurtrier roule dans le sang et la poussière, pourvu qu’on dise à tout venant : Cet homme est mort de la main et par le glaive de sa maîtresse ! Ne flétrissez plus mon honneur par d’injustes accusations ; je ne puis m’éloigner du seuil de sa demeure. Egoïste qui me prêches le repentir, ce serait à toi plutôt de te repentir d’un tel conseil. Va, laisse-moi ; tout ce qu’elle fait, dût ma mort en résulter, est bien fait. Le feu de l’amour me consume pendant la nuit, mais, le matin, un souffle embaumé me rend la vie. Si je meurs aujourd’hui sur le seuil de sa porte, je serai réuni à celle que j’aime, au jour de la résurrection. » — Courage, amis, ne fuyez pas le combat, les épreuves ; Saadi a trouvé la vie dans l’amour qui le tue.
Un homme expirant dans les tourments de la soif s’écriait : « Heureux celui qui périt au sein des flots ! » Un ignorant l’entendit et dit : « Qu’importe quand on meurt, que ce soit de soif ou emporté par le torrent ? » Mais l’autre reprit : « Ne pourrai-je du moins tremper mes lèvres à la source dont le désir me tue ? Celui que la soif dévore se jette dans un lac profond : il meurt, mais sa souffrance est apaisée. » —Amant fidèle, retiens dans tes mains la robe de ton idole et si elle te demande ta vie, sacrifie-la sans hésiter. Avant de goûter le bonheur des élus, il faut franchir l’enfer de l’anéantissement (fanâ). Le laboureur supporte de rudes fatigues ; mais, la moisson faite, il jouit d’un doux repos. Au banquet de l’amour, le bonheur est assuré à l’amant qui a su obtenir la coupe (9).
Le mendiant de la mosquée.
Les pionniers de la voie spirituelle, ces pauvres comblés de biens, ces mendiants rois racontent le récit suivant. Un vieillard sortit, un matin, pour mendier : il s’arrêta au seuil d’une mosquée et implora la charité d’une voix dolente. On lui dit : « Ce n’est point ici une maison ordinaire où tu puisses recevoir quelque aumône ; séjourner en ce lieu serait un crime, éloigne-toi ! — Quel est, demanda le vieillard, quel est le maître de cette demeure où l’infortuné n’obtient pas d’assistance ? — Silence, lui dit-on, un pareil langage est impie ; le maître de céans est notre maître à tous. » Le pauvre promena ses regards autour de lui ; il vit les lampes et le mihrâb (l’oratoire) et poussant un soupir ardent, il s’écria : « Qu’il serait triste de quitter cette porte, de fuir loin d’un pareil séjour ; moi qui n’ai éprouvé de refus nulle part, en recevrai-je dans le temple de Dieu ! Non c’est ici que je veux tendre la main, et je suis assuré qu’elle ne restera pas vide. » Et pendant une année entière, il fut l’hôte assidu de la mosquée, implorant la charité comme le font les pauvres. Enfin le pied de son existence s’enfonça dans la boue du trépas ; son cœur ralentit ses battements, et lorsque, le matin, on approcha une lampe de son visage, on trouva le vieillard expirant comme une lampe aux premières lueurs du jour : mais joyeux il murmurait encore : « Frappez à la porte de l’hôte généreux et elle s’ouvrira. » — Le disciple (des soufis) doit être patient et fort. Ces alchimistes ne sont point déçus dans leur attente ; ils convertissent des lingots d’or en charbon avec la certitude de changer un jour le cuivre en or. L’or donne toutes les jouissances, mais en est-il une comparable à la possession de l’objet aimé ? Si une maîtresse déchire ton cœur, demande des consolations à un autre amour ; ne te condamne pas aux regrets d’une passion dédaignée, éteins ses ardeurs dans les sources vives d’une passion nouvelle. Mais si celle que tu aimes possède une beauté incomparable, ne renonce pas à ton amour, quelles que soient tes souffrances. Pour sacrifier cet amour, il faudrait être sûr de pouvoir vivre sans aimer (10).
Constance et résignation dans l’amour.
Après une longue nuit d’insomnie, au point du jour, un vieillard levait les mains au ciel et priait. Une voix invisible fit entendre ces paroles à son oreille : « Tes prières sont vaines ; occupe-toi d’autres soins ; tes vœux n’ont pas été exaucés dans le ciel, cesse d’espérer et retourne à ta demeure en proie à une douleur sans remède. » Cependant le dévot passa encore la nuit suivante en adoration; un disciple (mourîd) qui lisait dans son cœur lui dit : « Puisque la porte (de la grâce) reste inexorablement fermée devant toi, ne t’épuise pas en efforts stériles. » Le vieillard répondit, et des larmes de sang glissaient le long de ses joues : « J’aurais abandonné ce seuil et sacrifié mes espérances si une autre route s’était ouverte devant moi ; mais lors-même que mon ami (Dieu) tournerait bride pour s’éloigner, mes mains n’abandonneraient pas la courroie de sa selle. Un solliciteur ne quitte avec résignation une demeure que s’il sait pouvoir frapper à une autre ; on m’a interdit, je le sais, l’accès de celle-ci, mais que faire, si je ne trouve pas d’autre issue ? Il dit et il se prosternait résigné au sacrifice de sa vie, lorsqu’une voix du ciel apporta ces paroles à son cœur : « Viens, tes mérites sont nuls, mais tu n’as mis ton espérance qu’en moi et c’est pourquoi tes prières sont exaucées » (11).
Les plaintes de la mariée.
Une jeune fille nouvellement mariée se plaignait des rigueurs de son mari au chef de la famille. « Souffrirez-vous plus longtemps, lui disait-elle, que je vive malheureuse avec ce jeune homme ? Je ne connais personne dans cette maison dont l’existence soit aussi triste que la mienne. Unis par une tendre affection, l’époux et l’épouse doivent être comme deux amandes dans une seule écorce, mais moi, hélas ! je n’ai pas encore aperçu un sourire sur le visage de mon mari. » Le père dont l’âge avait accru l’expérience entendit ses plaintes et se borna à répondre avec une sagesse pleine de douceur : « Si la beauté de ton mari t’a séduite, supporte avec patience ses sévérités. » — C’est une faute de renoncer à un bien qu’on ne saurait remplacer ; à quoi bon chercher à fuir le maître qui, d’un signe de tête, peut prononcer un arrêt de mort ? Soumets-toi en esclave résigné aux volontés de Dieu, car tu ne peux obéir à un autre maître que lui. — Je fus un jour saisi de pitié en entendant cette plainte d’un esclave que son maître faisait vendre au marché : « Vous pourrez trouver cent esclaves qui valent mieux que moi, mais où trouverai-je un maître tel que vous ? »
Le médecin de Merv (12).
Il y avait dans la ville de Merv un médecin d’une beauté merveilleuse ; il dominait les cœurs comme le cyprès domine le jardin, mais il ne se doutait pas plus de la souffrance de ces cœurs que du charme de ses yeux pleins de langueur. Une étrangère à laquelle il donnait ses soins dit, un jour, en parlant de ce charmeur : « Depuis que j’ai le bonheur d’être près de lui, je ne souhaite plus de revenir à la santé, puisqu’il faudrait cesser de le voir. » — Que de fois la raison orgueilleuse n’a-t-elle pas ainsi succombé à la puissance irrésistible de l’amour et, terrassée sous son étreinte, elle ne peut plus se relever !
Quelqu’un avait mis une armure (variante « des gantelets ») de fer pour se battre contre un lion ; mais saisi par les griffes redoutables de la bête, son bras retomba inerte et sans force. « Pourquoi, lui dit-on, pourquoi faiblir comme une femme ? Frappe l’ennemi de ton gantelet de fer. » Mais le malheureux, vaincu et terrassé, répondit : « Est-il possible de lutter contre un lion avec un gantelet ? » — La froide raison aux prises avec l’amour c’est le gant de fer opposé aux griffes du lion ; si tu cèdes avec la faiblesse de la femme à l’étreinte du lutteur terrible comme un lion, de quel secours un gantelet peut-il être pour toi ? Là où l’amour se manifeste c’en est fait de la raison ; elle devient son jouet comme la balle est le jouet du mail.
Résignation dans l’amour.
Deux parents, nobles tous deux et beaux comme le soleil, étaient unis dans les liens du mariage. Mais si cette union était pleine de charme pour l’un des deux époux (la femme), à l’autre elle n’inspirait que dédain et aversion. L’une avait la douceur et la grâce d’une péri ; l’autre tournait son visage boudeur contre le mur ; celle-là ne songeait qu’à se parer pour paraître plus aimable, celui-ci implorait la mort comme une faveur. Les anciens du village, prenant le mari à part, lui dirent : « Puisque tu n’aimes pas, fais abandon du douaire et divorce (13) ». Il accepta en souriant cette proposition : « Devenir libre au prix de cent moutons, dit-il, certes le marché n’est pas désavantageux. » — Mais la femme, meurtrissant son beau visage, s’écria : « Pourrais-je, à ce prix, renoncer à celui que j’aime ; je ne veux ni cent moutons ni même cent mille, s’il faut ne plus voir l’objet de ma tendresse. » — Sache-le (ô disciple), quels que soient les attraits de ce monde, l’ami (Dieu) seul doit captiver ton cœur. — On demandait à un égaré (de l’amour mystique) ce qu’il désirait du paradis ou de l’enfer; il répondit : « Ne me faites pas une pareille question, je veux, ce que veut l’ami. »
Medjnoun et Leïlé (14).
On demandait à Medjnoun : « Noble jeune homme, pourquoi ne viens-tu plus dans la tribu ? As-tu renoncé à l’amour de Leïlé, ton cœur a-t-il banni son souvenir et conçu une autre inclination ? » A ces mots l’amant infortuné répondit en gémissant : « Amis, cessez de me torturer ; ne répandez pas du sel sur un cœur déchiré et saignant (15). L’absence n’implique pas l’indifférence, puisqu’elle est souvent imposée par la volonté du destin. — Cœur généreux et fidèle, reprit-on, charge-nous du moins d’un message pour Leïlé. » Medjnoun répondit : « Ne répétez pas mon nom devant celle que j’aime, en présence de mon amie, ce nom ne doit pas même être prononcé. »
Mahmoud et Ayaz (16).
Quelqu’un critiquait le sultan de Ghazna en ces termes : « Chose étrange ! Ayaz est sans beauté : comment le rossignol peut-il aimer une rose qui n’a ni éclat ni parfum ? » Le propos fut rapporté à Mahmoud, qui manifesta un vif mécontentement et répondit : « Ce que j’aime dans Ayaz, sachez-le bien, ce sont les qualités de son âme et non la beauté et les grâces de sa personne. » — Ce prince traversait un jour une gorge de montagne ; un de ses chameaux étant tombé, un coffret rempli de perles se brisa ; Mahmoud laissa ces bijoux à la merci de son escorte et pressa l’allure de son cheval. Ses pages, tout occupés à ramasser les perles et le corail, demeurèrent en arrière de leur maître ; de tous ces nobles cavaliers, un seul était resté à la suite du roi, c’était Ayaz. Mahmoud l’aperçut et lui dit : « Ami, toi qui m’es doublement cher, rapportes-tu, toi aussi, ta part de butin ? — Non, répondit le page, j’ai continué à suivre le roi, et les plus précieux trésors n’auraient pu me faire sacrifier mon devoir. » — O toi qui aspires à vivre dans le palais du ciel, il ne faut pas que les biens de ce monde te fassent négliger le Souverain. Il est interdit aux disciples de la voie spirituelle de désirer de Dieu autre chose que Dieu lui-même. Si tu attends les faveurs de l’objet aimé, ce n’est pas lui que tu aimes, c’est toi seul. Si tes lèvres s’entrouvrent avec convoitise, ton oreille ne recueillera pas les secrets du monde invisible. La Vérité est comme un palais magnifique que les passions et la concupiscence enveloppent d’un rideau de poussière; n’est-il pas vrai qu’au milieu d’un nuage de poussière la vue la plus perçante ne sait plus rien découvrir?
Miracle d’un Soufi.
Je voyageais dans le Maghreb avec un vieillard originaire de Fariâb (17) ; la destinée nous conduisit sur le rivage de la mer. Comme j’avais encore un dirhem (pièce d’argent), on me prit à bord d’un bateau; mais le pilote était impie et cruel, il laissa le vieillard sur le bord. Déjà, sous l’effort des nègres qui ramaient, l’embarcation s’éloignait, glissant comme un nuage ; je m’apitoyai sur le sort de mon compagnon, lorsque celui-ci, répondant à mes plaintes par un sourire, me dit : « Ami intelligent, ne t’inquiète pas de mon sort ; Celui qui dirige le bateau saura aussi me conduire. » Et il étendit sur les flots son tapis de prières (18); quant à moi, je ne savais si j’étais le jouet d’une hallucination ou d’un rêve. Pendant toute la nuit, je veillai en un trouble profond; le lendemain matin, le scheik m’apparut et me dit : « Ami, pourquoi tant d’inquiétude ? le pilote t’a conduit ; moi c’est Dieu qui m’a amené. » — Pourquoi les disciples de la raison refusent-ils aux saints (19) le pouvoir de marcher à la surface de l’eau et à travers les flammes ? De même qu’une tendre mère éloigne son enfant du feu dont il ignore les dangers, de même Dieu veille nuit et jour sur ceux qui s’abîment dans sa contemplation. C’est lui qui protégea Abraham sur son bûcher et Moïse dans son berceau, au milieu du Nil. L’enfant soutenu par la main d’un nageur habile ne tremble pas au milieu de la vaste nappe d’eau du Tigre, mais toi qui traînes sur le rivage ton manteau souillé de boue, comment pourrais-tu, à l’exemple des saints, marcher sur les flots de la mer ?
Les sentiers de la raison sont tortueux et sans issue. Pour les initiés, rien n’existe, si ce n’est Dieu. Cette vérité, ils en ont la révélation, mais le dialecticien l’accueille avec ironie. « Le ciel et la terre, dit-il, n’existent donc pas ? L’homme, l’oiseau, les bêtes fauves n’ont donc point de réalité? » — Cette question est fort sensée, ô philosophe, mais daigne écouter ma réponse. N’est-il pas vrai aussi que les plaines et la mer, les montagnes et le ciel, les péris et l’homme, les dives et les anges sont trop peu de chose devant Dieu pour qu’on ose affirmer leur existence ? Tu admires l’immensité de la mer tumultueuse, la splendeur du soleil au sommet des deux; mais la froide raison peut-elle suivre les contemplatifs dans ce royaume où le soleil n’est qu’un atome, où les sept mers ne sont qu’une goutte d’eau? Là où le Roi (Dieu) manifeste sa gloire, le monde disparaît et s’abîme dans le néant (20).
Apologue du Dihkân.
Un dihkân (seigneur de village) voyageant avec son fils, passa près du camp d’un roi. L’enfant vit les hommes de guerre armés d’épées et de haches étincelantes, vêtus de tuniques de satin et de ceintures d’or ; il vit les archers avides de combats, les pages porteurs d’arcs et de carquois, les robes en brocart de Chine et les diadèmes ornés de pierreries. Tandis qu’il admirait ce spectacle, l’enfant remarqua que son père, pâle et tremblant, se cachait timidement dans un coin ; il lui demanda : « N’es-tu pas le suzerain du village, n’occupes-tu pas une des premières places parmi les grands ? pourquoi donc cette frayeur mortelle, pourquoi trembler comme la feuille du peuplier ? » — Son père lui répondit : « Je suis maître, il est vrai, et je puis donner des ordres, mais mon pouvoir s’arrête aux limites de mon domaine. »
Les plus grands saints tremblent de frayeur en pénétrant sur le seuil du Roi des Rois, et toi, pauvre ignorant, tu trônes comme un souverain au fond de ton village ! — Il n’est pas de pensée éloquente et sublime que Saadi n’ait revêtu du voile de l’apologue.
Le ver luisant.
Vous avez sans doute vu dans les jardins et les prairies ce ver qui scintille au sein de la nuit comme un flambeau. Quelqu’un lui demanda : « Petit insecte, toi qui brilles dans les ténèbres, d’où vient que tu disparais pendant le jour ? » Ecoutez la lumineuse réponse de ce ver de flamme né de la terre : « Je vis en plein air aussi bien le jour que la nuit, mais en présence du soleil, je suis comme si je n’étais pas. »
Une sédition avait éclaté dans une ville de Syrie ; on arrêta un vénérable vieillard. Je crois entendre encore les paroles qu’il prononçait tandis qu’on le garrottait : « Sans le consentement du souverain maître, qui oserait exercer sur moi cette violence ? J’aime jusqu’à mes ennemis, puisque c’est un ami, je le sais, qui les déchaîne contre moi. Quel que soit mon lot, pouvoir et honneurs, captivité et humiliation, c’est à Dieu que j’en suis redevable, et non à Amr ou à Zeïd (21) ». — Si tu es intelligent, n’éprouve aucune crainte lorsque le médecin te présente un breuvage amer; bois sans hésiter la potion que te donne sa main secourable : le malade n’a pas la science du médecin.
Le panégyriste de Saad (22).
Un poète avait chanté les louanges de Saad, fils de Zengui (que les bénédictions du ciel se répandent sur sa tombe !) ; le prince lui donna de l’or, un vêtement d’honneur et d’autres distinctions dignes de son talent poétique. Mais cet homme lut sur une des pièces d’or l’inscription « Dieu seulement. » (23). Saisi d’un trouble profond, il se dépouilla de la robe magnifique qu’il venait de recevoir, et cédant aux transports ardents qui l’agitaient, il courut au désert. Un nomade le rencontra et lui dit : « Quelle est donc la cause de ce revirement soudain ? Après s’être prosterné trois fois devant le prince, était-il donc convenable de fuir sa présence ? » Le poète répondit en souriant : « La crainte et l’espérance avaient d’abord fait battre mon cœur, mais la légende « Dieu seulement, » a calmé mon trouble ; dès ce moment, les hommes et le monde entier sont devenus néant à mes yeux. »
L’ablution glacée.
Un jeune homme s’était livré à l’amour, comme Saadi, et comme lui, il subissait mille dédains. Réputé sage et prudent jusqu’à ce jour, il se voyait accuser publiquement (littéralement à coups de caisse) de folie. Mais, pour l’amour de sa belle, il supportait tout de la part de ses détracteurs; le poison de l’amour n’est-il pas l’antidote souverain? Sous les injures et les violences de ses compagnons, il courbait la tête comme le clou sous le choc du marteau. D’étranges imaginations troublaient son cœur et ébranlaient son cerveau ; mais les outrages le laissaient insensible. Le noyé a-t-il souci de la pluie ? L’homme dont le cœur a reçu le choc violent de l’amour ne s’inquiète pas si son honneur et sa réputation se brisent comme verre. — Une nuit, le démon lui apparut sous les traits d’une séduisante péri et se livra à ses embrassements. A son réveil, le jeune homme vit qu’il n’était plus en état de faire la prière (24). Sans rien dire à personne, il courut à un bassin placé sous le toît; le froid y avait formé un barrière de glace. « Malheureux, lui dit-on, c’est la mort que tu vas trouver au fond de cette eau glacée. — Amis, répondit-il, trêve de reproches ! Depuis le jour où je suis tombé au pouvoir de cette belle j’ai cessé de m’appartenir ; je n’ai jamais reçu d’elle un mot, une parole bienveillante, et maintenant, vous le voyez, son amour met mon existence en péril. » — Ce Dieu qui a tiré mon corps du limon et l’a animé d’une âme immortelle, ne dois-je pas subir ses lois lorsque j’ai été comblé de ses faveurs et de ses grâces ?
Extase et concerts mystiques.
Si tu es au nombre des disciples de l’amour, choisis : ou le renoncement de toi-même, ou le retour à la raison et au repos. Ne crains rien : si la flamme de l’amour te réduit en poudre, en te donnant la mort, elle t’assure l’immortalité. Le grain fermé et intact ne germe pas ; il faut que la terre l’enveloppe et l’absorbe. La révélation de la vérité te viendra de celui (le pîr, le directeur spirituel) qui t’aura délivré de la notion de l’existence. Tu ne pénétreras le fond de ton âme qu’après avoir perdu la conscience de ton être. L’extase seul peut te faire comprendre ce mystère.
Dans le délire de l’amour, ce n’est plus seulement la voix du chanteur, c’est le pas cadencé du cheval qui devient aussi un concert mystique. Au bourdonnement d’une mouche qui vole, le Soufi éperdu se prend la tête entre ses mains, comme une mouche. Troublé et ravi par l’extase, il ne distingue plus les tons aigus et graves (bem o zîr) de la lyre, et il mêle ses soupirs aux chants de l’oiseau. L’ineffable concert ne se tait jamais, mais l’oreille n’est pas toujours prête à l’entendre. Quand les initiés s’enivrent du divin breuvage, le gémissement du dolâb (25), suffit pour leur donner l’ivresse ; comme la roue du dolâb, ils tournent et s’inondent de pleurs ; résignés, ils se voilent la face, et quand la patience les abandonne, ils déchirent le voile. Ne blâmez pas le soufi égaré par l’ivresse ; il est au fond de l’abîme et lutte avec désespoir.
Frère, comment définirais-je le chant mystique, c’est à peine si je connais ceux qui sont faits pour l’entendre. Quand il s’envole des hauteurs de l’idéal, (du cœur de l’initié), l’ange lui-même ne peut le suivre dans son essor ; mais ce chant n’excite que le démon des passions chez l’homme frivole et peu sincère. L’haleine du zéphyr entrouvre le calice des fleurs, mais la hache seule peut fendre le cœur noueux du vieux chêne. Le monde est plein de concerts, il frémit d’une amoureuse ivresse ; mais l’aveugle peut-il lire dans un miroir? Voyez comme le chant (houda) du chamelier arabe entraîne le chameau en une allure cadencée et rapide ; si ce chant peut émouvoir un être privé de raison, l’homme qui l’écoute sans émotion est inférieur à la brute (Cf. Gulistân).
La flûte.
Un jouvenceau dont la beauté consumait les cœurs comme des roseaux (neï) avait exercé ses douces lèvres à tirer de la flûte (neï) des sons mélodieux. Souvent son père lui adressait de vifs reproches et jetait l’instrument au feu. Mais un soir, il en écouta les sons avec plus d’attention et se sentit ému et troublé; il dit, et des gouttes de sueur perlaient sur son front : « (J’ai brûlé le roseau) aujourd’hui, c’est le roseau qui me brûle. » — Sais-tu pourquoi les disciples de l’amour, au milieu de leurs danses, lèvent et agitent les mains ? C’est que la porte des effluves divins s’ouvre en ce moment devant eux, et par ce geste inspiré, ils semblent repousser la création entière. Pour avoir le droit de danser en invoquant le nom aimé, il faut que chaque membre de ton corps soit doué d’une vie qui lui est propre. Si habile nageur que tu sois, tu dois te dépouiller de tes vêtements avant de lutter contre les flots. Romps les entraves du respect humain et de l’hypocrisie, c’est la tunique qui gêne les mouvements du nageur. Les séductions de ce monde sont autant de liens qui paralysent tes efforts ; brise-les et tu arriveras au but.
Le papillon.
On disait au papillon : « Pauvre petit, aime qui tu peux aimer, va où tes vœux peuvent être écoutés. Es-tu donc digne d’aimer le flambeau ? Tu n’es pas la salamandre, ne voltige pas autour de la flamme. Dans le combat (de l’amour), il faut un courage à toute épreuve; la chauve-souris se dérobe à l’éclat du soleil. S’il est insensé de lutter contre plus fort que soi, c’est aussi une folie de s’éprendre d’une maîtresse qui ne déguise pas sa haine. Jamais on ne t’approuvera de sacrifier ta vie dans une telle poursuite. Le mendiant qui demande la main d’une princesse est chassé, meurtri de coups et il aime sans espérance de retour. Comment le flambeau qui attire le regard des rois et des princes daignerait-il faire attention à toi ? N’espère pas qu’au milieu de cette noble assemblée il y ait une lueur de pitié pour un être aussi chétif que toi ; il se consume lentement en prodiguant sa lumière, mais à toi, pauvre fou, il réserve la flamme qui dévore. » Ecoutez la réponse du papillon enflammé : « Que m’importe à moi de brûler ! j’ai dans le cœur un foyer ardent comme celui d’Abraham, auprès duquel le feu du flambeau n’est qu’un lit de fleurs (voir ci-dessus note 2). Mon cœur, il est vrai, n’exerce aucune attraction sur cette flamme, c’est elle qui l’attire et qui l’absorbe. Ne croyez pas que je m’y jette volontairement; un désir inéluctable m’y entraîne comme par une chaîne. J’étais loin encore, et avant de sentir le contact de la flamme, je brûlais. Comment me reprocher d’adorer une belle aux pieds de laquelle j’accepte avec joie de mourir ? Savez-vous pourquoi j’aspire ardemment à la mort, c’est que là où cette amie existe, il faut que je cesse de vivre : je me consume parce que l’incendie de l’amour se propage dans un cœur sincèrement épris. C’est en vain qu’on m’engage à choisir une maîtresse de mon rang, et disposée à récompenser mon amour ; donner ce conseil à un amant que la passion affole, c’est dire à l’homme piqué par un scorpion qu’il fasse trêve à ses plaintes. Cessez donc de prodiguer vos exhortations à qui ne peut les entendre ; autant vaudrait recommander une allure modérée au cavalier dont le cheval s’emporte. »
« Quelle ingénieuse pensée se lit dans le livre de Sindibâd (26) : « Enfant, l’amour est comme le feu et le conseil comme le vent ! » Le feu attisé par le vent flambe avec plus d’impétuosité; la panthère redouble de rage sous le trait qui l’a blessée. Tout bien considéré, on a tort de m’engager à vivre avec mes semblables. Il est sage, au contraire, de s’enrichir au commerce des natures d’élite ; rester parmi les siens, c’est gaspiller inutilement sa vie. Le commun des hommes suivent la trace de leurs semblables ; mais les disciples de l’amour marchent d’un pas ferme à l’abîme. Quant à moi, en formant le dessein d’aimer, j’ai renoncé du même coup à la vie. L’amant héroïque est prêt au sacrifice de l’existence ; l’amant timide n’aime que sa propre personne. Puisque la mort est là en embuscade, qui nous épie, mieux vaut mourir victime d’une maîtresse charmante ; puisque le trépas est écrit sur mon front, il me sera plus doux venant de sa main adorée. La mort, hélas ! est la fin de toute chose. N’est-il pas préférable alors d’expirer aux pieds d’une amie ? »
Dialogue du papillon et de la bougie.
Une nuit que le sommeil me fuyait, j’entendis le papillon dire à la bougie : « J’aime, il est donc naturel que je me consume, mais toi, pourquoi répands-tu ces larmes brûlantes? — Amant infortuné, répondit la bougie, on m’a séparée du miel, mon compagnon chéri et depuis que ce doux (schirîn) ami est loin de moi, je brûle comme Ferhâd (27) dans le feu de mes regrets. » Ainsi parlait la bougie et, laissant couler des larmes ardentes sur son pâle visage, elle ajouta : « Imposteur, l’amour n’est pas fait pour toi qui n’as ni la résignation ni la persévérance. Au premier contact de ma flamme tu t’envoles, mais moi je reste et me consume entièrement. Le feu de l’amour effleure à peine ton aile ; vois comme il me dévore et m’anéantit. Fais attention, non pas à la clarté que je répands autour de moi, mais à mon ardeur, à mes larmes brûlantes : tel est aussi Saadi, le sourire est sur ses lèvres, mais un feu intérieur le consume. » — La première veillée de la nuit ne s’était pas écoulée qu’une belle jeune fille au visage de péri vint éteindre la bougie. Celle-ci répandant autour d’elle une noire fumée, ajouta : « Ami, c’est ainsi que finit l’amour. Si tu es au nombre de ses disciples, apprends que la mort seule en éteint la flamme, mais ne pleure pas sur la tombe des victimes qu’il fait et dis : Gloire à Dieu, ceux-là étaient des élus ! » — Si tu aimes avec sincérité, ne redoute pas les souffrances de l’amour et romps, comme Saadi, avec toutes les inclinations mondaines ; le fédaï dévoué accomplit sa mission malgré la grêle de traits qui pleuvent autour de lui. — Je te le dis, ami, ne t’aventure pas sur cette mer sans rivages, mais si tu y vas, plonge résolument au fond de ses abîmes.
Notes et variantes du chapitre III
(1) Quelques copies présentent une image plus recherchée, et par là plus conforme au goût poétique des Persans, « le buisson est l’homme d’armes qui défend la rose, sa souveraine. » Sur le passage du Coran, vii, 171, « ne suis-je pas votre Seigneur ? » auquel les poètes orientaux donnent une signification mystique, voir ci-dessus, p. 81, note 7. Le sens allégorique de ce verset est longuement et surtout subtilement commenté dans l’introduction du Nefahât de Djami.
(2) La source de l’immortalité, en persan Ab-é-haïat : elle est plus blanche que le lait, plus douce que le miel, plus parfumée que le musc ; mais elle se cache aux confins du monde, dans le pays des ténèbres, au-delà des régions habitées par les peuples de Gog et Magog. Alexandre, après avoir fait la conquête du monde, voulut découvrir la source mystérieuse, mais il échoua dans sa tentative, et le prophète Khidr (Élie, Elisée ou saint Georges) eut seul le privilège de boire « l’eau de la vie. » Cette légende est racontée en détail dans le commentaire de Surouri, Cf. Graf, Sadi’s Rosengarten, p. 265; Ibn el-Athir, I, p. 198 et suiv. L’eau qui donne l’immortalité, étant enveloppée de ténèbres, est quelquefois employée métaphoriquement pour la divinité même qui se dérobe aux regards des disciples de la voie spirituelle. Voy. G. de Tassy, les Oiseaux et les fleurs, p. 76 et 181.
(3) L’expression allégorique « laisser échapper la coupe, » ou plus exactement « répandre le vin, » meï rikhten, est expliquée diversement par les commentateurs ; d’après les uns, elle signifie « perdre le sentiment de l’existence; » d’après les autres, « divulguer les secrets ineffables de l’amour, » — Le oui prononcé par les âmes est encore une allusion au verset du Coran cité précédemment, « ne suis-je pas votre Seigneur ! » Veut-on avoir une idée de la subtilité que les théologiens et les exégètes du Coran apportent à leurs explications ? Ils prétendent que le jour où Dieu adressa cette question à la création tout entière, les âmes des musulmans seules répondirent par l’affirmation bèli, qui signifie « oui, tu ne peux pas ne pas être notre Seigneur, » tandis que les âmes des infidèles se bornèrent à la simple affirmation exprimée par la particule naam « oui, en effet. » (Commentaire de Soudi, t. I, p. 512.)
(4) Le texte emploie une métaphore plus orientale : « Ses pieds s’enfonçaient dans la boue formée par les larmes qu’il répandait. »
(5) D’après la tradition musulmane, Jacob était devenu aveugle à force de pleurer la perte de Joseph ; Tabari, t. I, p. 238. Ibn el-Athir ajoute que le patriarche hébreu retrouva la vue en touchant la tunique de ce fils bien-aimé, Chronique, t. I, p. 108.
(6) Littéralement « comme son chien, » sègui khischt c’est-à-dire comme son esclave. Cette expression est encore usitée dans la conversation ; Nicolas, Dialogues français-persans, p. 197. Les vers qui terminent le paragraphe présentent quelques incertitudes de leçons et de sens ; on a suivi le commentaire de G., qui donne la rédaction la plus satisfaisante.
(7) Ce qui revient à dire qu’ils ne sont pas hypocrites comme la plupart des musulmans adonnés à la pratique de la religion extérieure et dissimulant sous une orthodoxie apparente les vices et l’infidélité de leur cœur. Le dernier vers « ils se renferment en eux-mêmes, etc., » ne présente pas une image très intelligible. Le poète veut-il dire, comme le prétend S., que les vrais soufis restent impassibles en présence des erreurs et des crimes dont le monde extérieur leur donne le spectacle incessant; ou bien en lisant be manend, avec la suppression de la particule négative, faut-il traduire : « Ils se couvrent d’écume (dans les transports de l’extase) ? » Les deux explications sont acceptables.
(8) Bien que Saadi soit plus sobre de plaisanteries et de concetti que les autres poètes de la Perse, il n’a pu résister au plaisir de jouer sur le nom de Samarcande : le sens littéral de l’hémistiche est ainsi : « elle avait au lieu de récits semer, du sucre kand. » C’est ce qu’on nomme en rhétorique musulmane « un jeu de mots composé, » tedjnis-i-mourèkkeb. G. de Tassy, Rhétor. des nations musulmanes, p. 122. Voir sur l’étymologie de cette ville, d’après la tradition répandue en Orient, Itinéraires de l’Asie centrale, p. 220.
(9) Dans le langage figuré des mystiques, la coupe est l’emblème de la connaissance de Dieu et de l’intuition partielle nommée ma’rifet, qui est une des dernières stations de la route que doit parcourir l’initié. Hafez exprime une pensée analogue et presque dans les mêmes termes, à la fin d’une de ses odes : « Si au jour suprême, tu obtiens la coupe, ô Hafez, tu passeras aussitôt de la taverne au paradis ; » texte publié par Brockhaus, t. I, p. 239.
(10) « Mais l’amour de Dieu, dont les bienfaits et les grâces sont sans bornes, doit absorber si entièrement le cœur de ses adorateurs, qu’ils acceptent avec résignation toutes les souffrances. » (Commentaire de S.)
(11) Les vers qui suivent ne sont pas admis par tous les éditeurs. G. se borne à les citer en note ; T. les défigure par des variantes peu acceptables; quant à S., tout en reconnaissant qu’ils sont probablement apocryphes, il les donne en cette place parce que ses prédécesseurs les ont acceptés et commentés. Il faut reconnaître en effet que ces vers ne sont guère dignes de notre poète, ni par le fond, ni par l’expression. En voici la traduction : « Un dévot de Nischapour disait à son fils, qu’il voyait négliger la prière du soir : « Mon enfant, si ton cœur est clairvoyant, sache que tu ne pourras rien obtenir sans effort. Le soufi qui ne s’avance pas d’un pied ferme dans la route spirituelle, mène une existence vide comme le néant. Aspire à la récompense et redoute le châtiment; ceux qui s’abandonnent à l’indolence (c’est-à-dire qui négligent les bonnes œuvres, ou dans le sens allégorique, qui ferment leur âme à la contemplation), n’obtiennent rien. » — Le mot traduit ici par soufi est sumeilân, qui est un synonyme assez rare, il est vrai, du mot fakir ou mourîd, « disciple, initié. » G. lit à tort Suleïmân « Salomon.
(12) Voir la description détaillée de cette ville, une des plus anciennes du Khoraçan, ou plutôt de la Margiane, dans notre Dict. géogr. de la Perse, p. 526 ; Cf. Voyages d’Ibn Batoutah, par MM. Defrémery et Sanguinetti, III, p. 63.
(13) Le poète réunit à dessein le mot arabe mehr, signifiant douaire, au persan mihr « bienveillance, sympathie. » D’après la loi musulmane, le mari qui répudie sa femme doit lui abandonner le douaire stipulé, mais ce douaire n’est dû en totalité qu’après la consommation du mariage. Querry. Droit musulman, titre du mariage, t. I, p. 720.
(14) Les amours de Leïlé et de Kaïs l’amirite, surnommé le fou (medjnoun), à cause de l’ardeur de sa passion pour la belle bédouine, ont excité la verve des poètes persans autant que les aventures de Ferhad et Schirîn, de Joseph et Zuleïkha, etc. On connaît le poème de Nizami, traduit par J. Atkinson, Londres, 1836, et un autre poème portant le même titre dont l’auteur est Djami; ce dernier ouvrage a été traduit avec élégance, mais trop librement, par A.-L. Chézy, Paris, 1807. Il serait intéressant de rapprocher les données persanes, telles qu’elles se trouvent dans ces romans en vers, des renseignements plus directs fournis par les Arabes, et notamment par le Livre des chansons (Kitab el-Aghani), éd. de Boulak, t. I, p. 167; on rencontre dans cet ouvrage une série de témoignages dignes de foi, mêlés à toute sorte de récits imaginaires.
(15) Ou d’après une variante, « n’enfoncez pas le bistouri dans la blessure de ma tête. » Voir encore d’autres variantes du même vers dans le commentaire de G.
(16) Mahmoud est le plus célèbre sultan de la dynastie éphémère des Ghaznévides, ainsi nommés parce qu’ils résidaient à Ghazna, dans le Zaboulistan. Ce prince régna de 977 à 1028 de notre ère et étendit ses conquêtes du Caucase à l’Océan Indien. Sa biographie, rédigée en style pompeux par Otbi, est un livre classique chez les Orientaux, au même titre que l’histoire de Timour par Ibn Arabschah ; il en existe aussi une traduction persane, dont on trouve des exemplaires dans plusieurs bibliothèques de l’Europe. — L’émir Ayaz, grand écuyer et favori de Mahmoud, paraît avoir joué un certain rôle après la mort de son maître; voir la note de M. Defrémery, Gulistân, p. 219, où se lit une anecdote qui n’est pas sans analogie avec celle de notre texte. D’après la notice biographique mise en tête du Schah-nameh, édit. de Makan, Ayaz aurait professé une grande admiration pour Firdausi, l’auteur de ce grand poème épique, et l’aurait protégé contre les attaques de ses rivaux ; mais l’authenticité de ces récits est loin d’être démontrée. La faveur que le sultan de Ghazna témoignait à son fidèle serviteur, a donné naissance à plusieurs poèmes portant le titre de Mahmoud o Ayaz; pour les mystiques, la légende est devenue un thème favori de comparaisons allégoriques dont le sens ne se laisse pas toujours pénétrer. Voyez Colloque des oiseaux, p. 169.
(17) Ville du Khoraçan septentrional, non loin de la vieille cité de Balkh ; elle faisait partie autrefois de la province de Gouzgân, Mo’djem, m, p. 840 ; Ibn Haukal, édit. de Goeje, p. 321. Le poète Zehir eddîn Fariabi, dont il a été parlé ci-dessus, p. 84, note 20, était originaire de cette ville : il passe pour un des meilleurs poètes dans le genre de poésie nommé Kaçideh, élégie, panégyrique, etc. Hammer, Redekunst, p. 131.
(18) Il faudrait, pour compléter le sens, ajouter comme le font les commentaires, « et s’étant assis sur le tapis, il fut porté par les flots, etc.; » mais le poète n’a pas cru nécessaire d’entrer dans plus d’explications, sûr d’être compris de ses lecteurs. — Les mi racles de ce genre sont souvent attribués aux soufis ; on en trouve plus d’un exemple dans le Nefahât de Djâmi; le Gulistân, p. 109, parle d’un religieux qui marchait sur la surface de la mer Occidentale ou Méditerranée, sans que ses pieds fussent mouillés.
(19) Littéralement abdals, c’est-à-dire les piliers du monde; ils sont au nombre de quarante, dont la moitié vit en Syrie, et l’autre moitié est disséminée dans le monde entier. Cf. de Sacy, préface du Pend-nameh, p. lx; Lane, Modem Egyptians, I, p. 291, et Thousand and one nights, chap. III, note 62. — Le vers précédent pourrait être traduit ainsi d’après une variante : » Le pilote t’a conduit ; moi, c’est Dieu qui m’a amené. » Cette leçon aurait l’avantage de conserver le jeu de mots entre Khodâ » Dieu » et nakhodâ « matelot, pilote, » et aussi « athée » pour les Persans, qui ne peuvent connaître la provenance grecque ναὺτης et le latin nauta.
(20) Il y a dans ce vers comme une odeur de panthéisme qui trouble l’orthodoxie des musulmans bien pensants : voilà pourquoi la glose de G. s’évertue à prouver que, malgré la liberté de son langage en cet endroit, Saadi n’a jamais partagé les opinions de la secte odieuse connue sous le nom de Voudjoudi « matérialistes. » Cette discussion est superflue, puisqu’il est impossible de nier que le soufisme, dans sa libre expression, aboutit à la théorie de l’absorption de l’univers en Dieu, ce qui est une des formes du panthéisme. Ici peut-être, le poète ne va pas si loin ; il se borne à dire que l’existence contingente des êtres s’efface devant l’absolu divin, et qu’en présence de la manifestation de l’idéal, tout ce qui existe est comme réduit au néant.
(21) « A tel ou à tel, au premier venu. » Zeïd et Amr sont des noms de convention adoptés par les grammairiens et les jurisconsultes, dans les exemples qu’ils donnent à l’appui de leurs définitions; voir une expression du même genre dans le Gulistân, p. 241, et Colliers d’or, p. 83.
(22) Le père d’Abou Bekr l’Atabek, bienfaiteur de Saadi; voir notre Introduction. Plusieurs copies rejettent le paragraphe entier comme interpolé : il se peut que l’auteur l’ait supprimé lui-même dans la révision qu’il fit de son poème; mais les trois éditions qui servent de base à notre traduction l’ont conservé.
(23) Allah bès, c’est la traduction en langue persane d’une légende arabe Allah Kafi, qui se lit quelquefois sur les monnaies musulmanes. Je ne crois pas que la suite d’ailleurs incomplète des monnaies frappées par les Atabeks de Syrie et de Perse porte cette légende; mais l’historien Mirkhond assure qu’elle se lisait en tête des firmans et rescrits royaux de l’Atabek Abou Bekr, fils de Saad; elle servait de chiffre royal (taaugui). Morley, Hist. of the Atabeks, texte persan, p. 33.
(24) On peut consulter, touchant la pollution, désignée sous le nom de djenâbet dans les traités juridiques, le Droit musulman, de M. Querry, t. I, p. 16, et D’Ohsson, Tableau, etc., t. II, p. 22. La souillure survenue pendant le sommeil est assimilée à celle de l’état de veille, elle entraîne pour le fidèle l’obligation de recourir aux ablutions pour recouvrer la pureté sans laquelle la prière est frappée de nullité. Les jurisconsultes ne diffèrent que sur le caractère de cette obligation, selon les circonstances qui la rendent ou rigoureuse ou simplement surérogatoire.
(25) Le lecteur connaît, par les descriptions des voyageurs et aussi par le pinceau de nos peintres orientalistes, les deux systèmes d’irrigation usités en Orient : l’un, le délou ou chadouf, est une écoupe ou un panier suspendu entre deux cordes comme une escarpolette; à chaque oscillation, l’écoupe s’emplit à fleur d’eau et vient se déverser dans une rigole. L’autre appareil, un peu plus compliqué, consiste à élever les eaux au moyen d’une roue garnie de pots et mue par une paire de bœufs ; chaque pot pivote sur son axe et contribue à remplir la rigole placée au-dessous de la machine hydraulique. C’est le dolâb dont parle Saadi ; en Egypte on le nomme sakyah, et naoura en Syrie. Cf. Lane, t. II, p. 26.
(26) Il est probable que la citation faite par Saadi est empruntée à la traduction en vers, par le poète Azraki, du fameux livre d’apologues moraux intitulé Sindibâd. L’origine indienne de cet ouvrage est incontestable, et les écrivains arabes eux-mêmes l’ont affirmée, voir notamment Fihrist, p. 305; Prairies d’or, édition de la Société asiatique, t. I, p. 162. M. Comparetti a publié à Milan un opuscule intitulé Ricerche intorno al libro di Sindibâd, où les questions d’origine et de traduction de ce livre sont traitées avec érudition. Quant à la version persane qui nous est parvenue sous le titre de Sindibâd-nameh, elle a été l’objet d’une étude spéciale par F. Falconer, Londres, in-8°, 1841. Voir le compte-rendu de M. Defrémery, Journal asiat., janvier 1842, p. 105. — Il est difficile de dire si tout ce passage est la suite du discours du papillon comme le croit le commentaire de S., ou si c’est une digression du poète.
(27) Selon une légende populaire en Perse, Ferhâd était un sculpteur qui, ayant eu la témérité de se faire aimer de Schirîn, la maîtresse du roi Sassanide Khosrou-Pervîz, fut envoyé, par ordre de ce prince, dans les carrières de Bisoutoun, où il se donna la mort après avoir achevé les fameux bas-reliefs qu’on remarque encore en cet endroit. Malcolm, Hist. de Perse, t. I, p. 138 ; Tabari, II, p. 304. La tradition conservée dans le Livre des rois, t. vii, p. 239 et suiv., diffère beaucoup de la précédente ; mais celle-ci a prévalu et plusieurs poètes l’ont mise en vers, notamment Nizami et son imitateur turc Scheïkhi. Cf. Catal. de la biblioth. de Gotha, n, p. 175. Gulistan l’Amour mystique.