Introduction –1 – 2 – 3 – 4 – 5 – 6 – 7 – 8 – 9 – 10 – 11
Les regrets du vieillard.
Un soir, j’étais assis avec quelques amis au banquet de la jeunesse et du bonheur; la joie s’épanouissait sur nos fronts, et nos chansons, rivalisant avec celles du rossignol, faisaient retentir le quartier de leur refrain joyeux. Un vieillard plein d’expérience se tenait à l’écart. Les disgrâces de la fortune avaient jeté les reflets de l’aurore sur sa chevelure jadis noire comme la nuit ; sa bouche demeurait fermée comme la noix, tandis que le rire entrouvrait nos lèvres comme la pistache. Un jeune homme, s’approchant du vieillard, lui dit : « Pourquoi t’assieds-tu solitaire, en proie à tes tristes pensées? Chasse le chagrin qui assombrit ton visage et viens, d’un cœur allégé, prendre ta part de cette fête de la jeunesse. » Le solitaire releva la tête et répondit (admirez la sagesse de ses paroles) : « Quand le printemps réchauffe le bocage de ses tièdes haleines, les rameaux verdissants se balancent sous son souffle; les jeunes herbes courbent leur tige verte sous la brise ; mais dès qu’elles jaunissent, elles tombent sous la faux. Le printemps qui donne au peuplier (2) ses bourgeons parfumés, dépouille le vieil arbre de ses branches desséchées. L’aurore de la vieillesse a blanchi mes tempes, ai-je encore le droit de me mêler aux ébats de la jeunesse? Le faucon blanc, captif dans sa prison, travaille sans trêve à briser ses entraves. C’est à vous, jeunes gens, de prendre place au festin ; pour moi, j’ai dit aux joies de la vie un éternel adieu. Le temps, en répandant sa poussière grise sur ma tête, m’interdit de songer encore aux plaisirs des jeunes années. La neige est tombée sur mes cheveux autrefois noirs comme l’aile du corbeau, ma place n’est plus dans le bocage, comme le rossignol. Le paon a le droit d’étaler son plumage aux brillantes couleurs ; mais que peut-on attendre du faucon à l’aile brisée ? La vie n’est plus pour moi qu’un champ aride : c’est pour vous que les prés se parent d’une verdure nouvelle. Mon parterre n’a plus ni éclat ni fraîcheur ; des fleurs fanées qui songe à faire un bouquet ? Ami, le seul appui qui me reste est ce bâton, je serais fou de compter sur un autre soutien en ce monde. L’homme jeune se dresse vigoureux et alerte, le vieillard s’aide péniblement de ses mains. Regarde, les roses de mon visage ont le reflet jaunâtre de l’or; quand le soleil pâlit, c’est qu’il touche à son déclin. La laideur des passions est moins choquante chez un jeune homme que chez un vieillard courbé par les années. J’ai le droit de pleurer comme un enfant sur les hontes de ma vie, mais il m’est interdit de vivre comme un enfant. Lokman (voy. note 35) disait avec raison : « Mieux vaut cesser de vivre que de vieillir dans l’erreur ; mieux vaut fermer boutique dès le matin que de perdre les intérêts de son capital. — Tandis que l’homme fait commence à grisonner, le vieillard à tête blanche s’achemine vers le tombeau, »
Un vieillard qui se consumait dans la souffrance et le désespoir, fit appeler un médecin. « Savant plein d’expérience, lui dit-il, interroge mon pouls; mes jambes refusent leur service, et mon corps, plié en deux, est comme enfoncé dans la vase d’un marais, » Le médecin lui répondit : « Fais tes adieux à la terre, tes pieds ne sortiront de cette vase qu’au jour de la résurrection. »
Faut-il demander aux vieillards la vigueur des jeunes gens ? Le torrent peut-il remonter à sa source ? Entraîné par le tourbillon de la vie, tu as dépassé l’âge de quarante ans, ne t’épuise pas en efforts contre le flot qui va t’engloutir. Notre ardeur juvénile s’éteint dès que l’aurore (la canitie) dissipe sur nos têtes les ténèbres de la nuit. Il faut chasser le cortège des chimères, dès que l’âge des chimères s’est écoulé. Mon cœur peut-il reverdir, lorsque demain l’herbe va verdir sur ma tombe ? Nous avons passé insouciants et gais sur la demeure dernière des générations qui nous ont précédés, celles qui sont encore dans le néant passeront à leur tour sur la nôtre. Hélas! le printemps de ma vie s’est évanoui, mes jours se sont écoulés dans les frivolités et les plaisirs : ces heures charmantes ont glissé comme l’éclair dans le ciel du Yémen. Tout entier aux préoccupations de la vie, j’ai négligé mes devoirs religieux; tout entier aux séductions de l’erreur, j’ai vécu indifférent à la vérité. Le précepteur a bien raison de dire à son élève : « Le temps passe et nous n’avons encore rien fait. »
Repentir.
Comme qui arrives à l’âge de soixante-dix ans, dans quel sommeil profond étais-tu plongé pour avoir ainsi gaspillé ta vie ? Pendant que tu amassais pour ton séjour ici-bas, tu oubliais le viatique du voyage. — Au jour du marché suprême dont le ciel sera le prix, les récompenses seront proportionnées aux mérites ; tu recevras dans la mesure de ce que tu as donné et, si tu n’as rien à offrir, quelle honte, quelle confusion ! Car plus le marché est richement approvisionné et plus c’est chose triste d’y venir sans argent. Si, pour compléter la somme nécessaire, il te manque quelque monnaie (1), le chagrin enfoncera ses griffés acérées dans ton cœur. Quand on a dépassé la cinquantaine, il faut considérer chaque jour de plus comme une aubaine inespérée. Ah ! si les morts, les pauvres morts pouvaient parler, ils diraient d’une voix gémissante : « Vivants, vous à qui la parole n’a pas été encore ravie, n’attendez pas que le trépas arrête la prière sur vos lèvres. Si nous avons vécu, nous, dans une folle insouciance, profitez du moins des instants si courts qui vous sont accordés ! »
Qu’il faut mettre à profit le temps de la jeunesse.
Jeune homme, marche dès à présent dans les voies de la vertu ; demain, les ressources de la jeunesse te feraient défaut. Ton cœur est exempt de soucis, ton corps est agile et robuste, la carrière est libre : lance la paume dans le mail. Heureux âge ! j’en connais tout le prix depuis que je l’ai dépensé en folies. Le destin m’a ravi ce temps inestimable, où chaque heure du jour était aussi précieuse que la nuit de Kadr (voy. note 34).
La bête de somme s’épuise en efforts sous le fardeau qui l’écrase, pendant que le cavalier porté par un coursier agile avance et gagne du terrain. — Si habilement qu’on rejoigne les morceaux d’une coupe brisée, elle n’a plus la valeur d’une coupe neuve ; mais puisque tes mains négligentes l’ont laissé tomber, tâche encore de la réparer. Qui t’avait donné le conseil de te jeter dans l’Oxus? personne; mais puisque tu es tombé dans le gouffre, fais d’énergiques efforts pour en sortir (3). Dans ton insouciance, tu as oublié l’eau des ablutions; contente-toi de sable, puisque c’est ta seule ressource. Tu n’as pas remporté le prix de la course sur des rivaux plus agiles, mais marche quand même, marche en chancelant ; des coureurs alertes t’ont devancé, ne te décourage pas pour cela ; lève-toi et pars (4).
Le sommeil dangereux
Une nuit, dans le désert de Feïd, le sommeil m’avait rivé aux pieds ses chaînes pesantes. Le chamelier accourut irrité, menaçant, et me cinglant la tête d’un coup de bride: « Debout! me dit-il, tu veux donc mourir, toi qui restes couché lorsque les clochettes du départ retentissent? Moi aussi j’ai la tête alourdie par le doux sommeil, mais le désert s’étend devant nous, immense, sans limites. » — Homme que le signal du départ n’éveille pas, comment pourras-tu retrouver ton chemin ? Déjà le guide a fait retentir son tambour et, marchant en tête de la caravane, il est arrivé au menzil (relais). Heureux les voyageurs prudents qui sanglent leurs bagages avant que le timbalier n’ait donné le signal ! Ceux qui ont cédé au sommeil ne retrouveront plus, en s’éveillant, les traces de la caravane lointaine. Le voyageur matinal arrive le premier au terme du voyage; à quoi sert de s’éveiller après l’heure du départ? Le laboureur qui sème de l’orge au printemps espère-t-il récolter du blé en été? — Dormeur, c’est maintenant qu’il faut veiller; pourquoi attendre que l’heure fatale interrompe ton sommeil ? Les premières rides sillonnent ton visage, tes cheveux grisonnent : chasse la torpeur qui appesantit tes paupières. Hélas ! la vie, ce précieux trésor, s’écoule si vite! les heures qu’il te reste à vivre fuiront non moins rapides; ta vie a disparu dans les égarements et le désordre, ces dernières heures disparaîtront de même, si tu n’y prends garde. Voici le moment des semailles ; soigne ton champ si tu veux avoir une bonne moisson. — Ne te présente pas au tribunal de Dieu les mains vides ; quelle folie de se préparer de stériles remords ! Si ton cœur est clairvoyant, dispose-toi à mourir avant que les fourmis ne rongent les yeux de ton cadavre. — Cher enfant, le capital est fait pour fructifier; malheur à qui le dépense follement ! Nage énergiquement tant que tu n’as de l’eau qu’aux épaules; n’attends pas d’être submergé par le courant. — Tu as des yeux, répands des larmes ; une langue est encore dans ta bouche, implore ton pardon. L’âme n’habitera pas toujours le corps ; la langue ne sera pas toujours fixée à la bouche ; implore maintenant le pardon de tes fautes ; n’attends pas que tes lèvres soient silencieuses comme le sépulcre. Prête une oreille attentive aux leçons de la sagesse, afin de répondre demain au sévère interrogatoire de Mounker (ci-dessus, chapitre V, note 18). L’heure est précieuse, profites-en; la cage sans l’oiseau est chose sans valeur. Ne dissipe pas la monnaie de ta vie en folles dépenses : l’occasion est fugitive et le temps est un glaive (5).
L’arrêt du destin venait de frapper une existence : quelqu’un déchirait ses vêtements et se lamentait : un sage entendit ses cris plaintifs et lui adressa ces conseils : « Si celui qui n’est plus pouvait t’entendre, il te dirait : Pourquoi céder ainsi à la douleur, au désespoir? Je n’ai fait que te précéder de quelques jours dans la tombe. Toi que ma mort plonge dans une si grande affliction, as-tu donc oublié que tu es mortel? »
Le sage, en jetant sur un cercueil la dernière pelletée de terre, gémit sur le trépas qui lui est réservé à lui-même et non sur celui que le trépas a moissonné. Pourquoi pleurer la perte d’un enfant couché dans le tombeau ? pur il est venu au monde, pur il en est sorti. Toi aussi tu es né pur, mais redoute de rentrer dans le sein de la terre avec les souillures du péché. Retiens soigneusement l’oiseau fugitif et n’attends pas qu’il s’envole avec le fil qui le retenait. La place que tu occupes, beaucoup l’ont occupée avant toi ; d’autres y viendront quand tu n’y seras plus. Lutteur vigoureux, guerrier habile à manier le glaive, vous n’emporterez de cette demeure qu’un linceul. Quand l’onagre, après avoir rompu le lasso qui l’entoure, tombe sur un terrain sablonneux et mou, il est pris une seconde fois. Toi aussi, la force t’abandonnera, le jour où ton pied glissera dans la boue du tombeau. N’attache pas ton cœur à ces décombres (le monde) : une noix ne peut se tenir d’aplomb sur une coupole (Cf. Gulistân). — Hier n’est plus, demain n’est pas encore, ne compte donc que sur l’heure présente.
Sages paroles de Djamschid.
La mort avait enlevé au roi Djamschid (ci-dessus note 37) un être chéri ; il enveloppa son bien-aimé dans un linceul de soie, comme le vers qui s’enferme dans son cocon soyeux. Quelque temps après, il vint visiter cette tombe pour répandre des larmes brûlantes sur celui qui y reposait. A la vue du linceul déjà pourri, il tomba dans une rêverie profonde et s’écria : « Cette même soie que j’avais ravie aux vers, les vers l’ont ravie au cadavre ! » — Mon cœur saigne encore au souvenir de ce distique qu’un chanteur modulait en s’accompagnant sur le rebâb. « Nous n’existerons plus et le printemps continuera à faire éclore les roses du parterre ; les mois tir, dimah et ardibéhischt se succéderont, alors que nous ne serons plus que poussière et limon ! »
Le lingot d’or.
Un homme austère et pieux trouva par hasard un lingot d’or, aussitôt sa raison s’égara ; un trouble profond envahit ce cœur que la sagesse avait jusqu’alors éclairé. Il passa toute la nuit à réfléchir. « Ce trésor précieux, se dit-il, ne s’épuisera pas ma vie durant. Je n’aurai donc plus à me courber humblement devant ceux dont je sollicitais les bienfaits ! Je posséderai un palais aux dalles de marbre, à la toiture de bois d’aloès! je pourrai recevoir mes amis dans un pavillon entouré de jardins ! En vérité, j’étais las de coudre des pièces à mon manteau ; la fumée de Pâtre me troublait la vue et le cerveau (6). Désormais j’aurai des serviteurs pour préparer mes repas, et je pourrai me livrer aux douceurs du repos. Ma tête reposait sur un grossier coussin de feutre ; mes pieds fouleront désormais de riches tapis. » Ces folles imaginations, ces étranges chimères envahissant son esprit, notre dévot ne trouva plus le temps de faire ses oraisons; avec l’appétit et le sommeil, il perdit le goût de la prière et de la méditation. Un jour, enivré de ces folles pensées, en proie à une agitation fiévreuse, il se promenait dans les champs : un homme tirait d’une tombe de l’argile pour en façonner des briques. Le nouveau riche se mit à réfléchir sérieusement : « Être inintelligent, se dit-il à lui-même, que ce spectacle soit pour toi un enseignement ! Pourquoi cet attachement insensé pour une brique d’or, toi dont les ossements serviront un jour à faire des briques ! Tu es bien trop avide pour qu’une bouchée apaise ta faim. Cœur sans énergie, renonce à ce lingot d’or, ce n’est pas avec une seule brique qu’on peut endiguer l’Oxus. Pendant que tu t’absorbes dans tes calculs d’intérêt, le capital de ta vie s’amoindrit chaque jour. Le vent qui balaie le sol (du cimetière) dispersera jusqu’à la dernière parcelle de mes cendres, et pourtant la poussière du péché aveugle ma raison, et la concupiscence, comme le souffle embrasé du semoum, consume la moisson de mon existence. » Mortel, c’est aujourd’hui qu’il faut effacer le collyre (surmeh) d’indifférence qui assombrit tes yeux : demain tu ne seras plus qu’une poussière humide comme le surmeh.
Les deux ennemis.
Deux hommes se haïssaient mortellement; c’étaient deux lions acharnés l’un contre l’autre; quand ils se rencontraient, il leur semblait, dans leur fureur, que la voûte du ciel pesait sur eux. L’un d’eux succomba au choc de la mort, les jours de son existence arrivèrent à leur terme. Son rival fut transporté de joie. Longtemps après, il passa près du tombeau de celui qu’il avait haï; une boue épaisse souillait la dernière demeure de cet homme qui avait habité un palais somptueux. Il s’approcha, sans s’émouvoir, du chevet de la tombe et s’écria d’un ton joyeux : « Heureux celui qui jouit des caresses d’une amie, après que la mort l’a délivré d’un ennemi ! On peut mourir sans regret quand on a survécu, ne fût-ce qu’une heure, à un rival odieux ! » Et dans un élan de colère, il souleva d’un bras vigoureux la dalle du sépulcre. Il vit au fond de la fosse cette tête qui avait porté jadis une couronne : la terre remplissait l’orbite des deux yeux où avait brillé la lumière du jour. Le cadavre gisait dans sa prison funèbre, en pâture aux vers et aux fourmis qui le rongeaient. Les ossements étaient obstrués de boue, comme la boite d’ivoire qui renferme la tutie (7); le visage était émacié par le temps, comme le croissant de la lune ; la mort avait aminci, comme un fétu de bois, ce corps autrefois si beau; les mains, jadis pleines de vigueur, se détachaient en lambeaux. A ce spectacle le visiteur fut saisi de pitié; il arrosa de ses larmes la terre du sépulcre, et honteux de la profanation qu’il avait commise, il fit graver ces mots sur la pierre tombale : « Ne vous réjouissez pas de la mort d’un ennemi, car vous ne lui survivrez pas longtemps. » — Un sage, instruit de ce qui s’était passé, s’écria d’une voix plaintive : « Dieu tout-puissant, peux-tu refuser le pardon à un mort que son ennemi lui-même a pleuré ? Un jour viendra aussi où le triste spectacle de mon corps inspirera la pitié aux cœurs qui me haïssaient, et alors peut être l’ami (Dieu) daignera-t-il accorder son pardon à celui qui l’aura obtenu même de ses ennemis.
Un jour je creusais à la pioche un monticule de terre ; une voix dolente en sortit qui murmurait ces paroles: « Qui que tu sois, si tu as quelque pitié, ménage tes coups, car sous ce tertre il y a des yeux, des oreilles, un visage, une tête ! »
Le voile.
Je m’étais endormi la veille d’un départ : le lendemain, à la pointe du jour, je rejoignis la caravane. Soudain un vent impétueux, soulevant des tourbillons de sable, répandit l’obscurité autour de nous. Une jeune fille qui n’avait jamais quitté le toit paternel, voyageait avec nous ; elle détacha le voile qui cachait ses traits et essuya la poussière dont son père était couvert. « Enfant au doux visage, lui dit le père, tu me prodigues tes soins avec une tendre sollicitude; mais oublies-tu que bientôt mon front sera terni d’une poussière (celle du tombeau) que ton voile ne pourra plus essuyer? »— Mortel, la sensualité, cette enchanteresse, t’entraîne comme une cavale indomptable jusqu’au fond du tombeau. La mort rendra soudain la bride à ton coursier et tu ne pourras le retenir sur cette pente fatale.
Conseils.
Sais-tu que ton corps est une cage d’ivoire, et que l’oiseau qui l’habite s’appelle nèfès (8) ? Quand cet oiseau brise ses entraves et s’envole, c’est en vain qu’on s’efforce de le ressaisir. Profite du moment propice : tout passe en ce bas monde, mais pour le sage, un moment (bien employé) vaut un empire. Alexandre qui tenait le monde entier sous sa loi a été forcé de tout quitter à l’heure du départ suprême; c’est en vain qu’il aurait offert tous ses royaumes pour obtenir un moment de répit. L’homme meurt, récoltant ce qu’il a semé et ne laissant après lui qu’un souvenir, souvenir de gloire ou d’infamie. — Devons-nous regretter un caravansérail que nos amis ont quitté et que nous allons quitter à notre tour? Ne donnons pas notre cœur au monde ; c’est une maîtresse volage qui n’accorde ses faveurs que pour les refuser un moment après. Une fois couché dans la fosse, l’homme secouera, au jour de la résurrection seulement, la terre qui couvre son corps. — Mortel relève aujourd’hui même ton front courbé sous le joug du péché, demain la honte t’empêcherait de le relever. Ne vois-tu pas qu’avant de rentrer à Chiraz le voyageur secoue la poussière de la route ? Toi aussi, toi que l’iniquité atteint de ses souillures, songe que tu partiras bientôt pour une contrée inconnue ; puissent tes yeux se changer en deux sources de larmes pour laver les impuretés qui ternissent ton âme !
La Bague de Saadi.
Je me souviens qu’aux jours de mon enfance, mon père (que la miséricorde divine rafraîchisse sa tombe comme une pluie bienfaisante !) mon père m’acheta une tablette, un cahier, et joignit à cela une bague d’or (9). Survint un marchand qui, pour quelques dattes, enleva cette bague de mon doigt. — De même qu’un jeune enfant ignorant la valeur d’un bijou, se le laisse dérober pour quelques friandises, toi aussi, homme, tu ne connais pas le prix de la vie, puisque tu la prodigues dans le plaisir. Au grand jour où les élus sortiront du sein de la terre pour monter jusqu’au plus haut des cieux, par-delà les Pléiades, tu baisseras humblement la tête sous les iniquités de ta vie. C’est maintenant, ami, que tu dois rougir de tes fautes, pour ne pas avoir à en rougir devant les justes. Dans ce jour redoutable où les œuvres et les paroles seront jugées, les plus grands Prophètes frissonneront d’épouvante. Lorsque les Prophètes eux-mêmes seront saisis de terreur, quelle excuse invoqueras-tu en ta faveur ?
Les femmes, elles dont la dévotion est loin d’être désintéressée, l’emportent cependant sur les hommes dépourvus de mérites (religieux). N’as-tu pas honte de ton inertie ? te laisser dépasser par des femmes ! Celles-ci du moins ont une raison légitime pour interrompre de temps en temps leurs exercices de piété (10) ; mais toi qui te tiens à l’écart comme elles, en vérité, tu ne les vaux pas et ne mérites pas le nom d’homme. — Mais un humble poète comme moi a-t-il le droit de parler? Ecoute ce que dit Onsori (11), ce roi de la poésie : « Si tu t’écartes du droit chemin, tu ne suivras plus que des sentiers tortueux. Quel homme indigne est celui qui tombe au-dessous de la femme ! »
En nourrissant ton âme dans la mollesse et les plaisirs, tu fournis des armes pour ton ennemi. Un homme avait élevé un louveteau ; l’animal grandit et déchira son maître. Le malheureux gisait par terre dans le râle de l’agonie ; un sage passa par là et dit : « Imprudent, toi qui prodiguais tes soins à un ennemi, ne savais-tu pas que tu périrais sous sa dent cruelle ? » — N’est-ce pas Iblis qui a jeté l’insulte aux hommes en disant : « De cette race il ne sortira que des œuvres criminelles ! » (Allusion au Coran, sur. vii, vers. 15 et 16). Hélas! en présence des iniquités de nos cœurs, je crains bien que le démon n’ait dit vrai. Le Maudit avait souhaité notre chute, et Dieu, pour l’en punir, l’a chassé du Paradis. Aurons-nous encore le droit de lever la tête, nous qui faisons lâchement la paix avec Iblis et qui déclarons la guerre au Dieu de vérité ? Comment ce Dieu aurait-il un regard de clémence pour ceux qui n’espèrent qu’en son ennemi ? Ce n’est pas en subissant la loi de l’ennemi qu’on peut recueillir les profits de l’amitié. Qui fait cause commune avec les traîtres mérite d’être abandonné de ses alliés. L’ami évite de visiter une demeure où il sait l’ennemi établi. Toi qui veux renoncer à l’amour de Joseph, qu’espères-tu donc acheter avec ta fausse monnaie ? (12) Sois prudent et ne t’éloigne pas de l’ami (Dieu), afin que l’ennemi (le démon), n’ait aucune prise sur toi.
Apologues.
Quelqu’un s’était révolté contre son roi ; le prince livra cet homme à ses ennemis pour qu’ils le fissent périr. En se voyant entre leurs mains impitoyables, le malheureux s’écria douloureusement : « Si je n’avais attiré sur moi le courroux d’un ami, il ne m’eût pas abandonné à la fureur de mes ennemis ! » C’est avec justice qu’on inflige le supplice des traîtres à celui qui s’attire le ressentiment de ses alliés. Sois uni avec ceux-ci de cœur et de langage, et la ruine de l’ennemi s’accomplira d’elle-même. Trahir un ami pour rendre service à un ennemi, c’est une infamie à laquelle je ne connais pas d’excuse.
Un homme dont les perfidies avaient causé la ruine de bien des gens, se levait, un jour, de table en proférant des imprécations contre Iblis. Le démon lui apparut et lui dit : « Je n’ai jamais vu de folie comparable à la tienne. Comment, mon cher, tu as conclu la paix avec moi, et c’est toi qui as l’audace aujourd’hui de me déclarer la guerre ! » — Mortel, n’est-il pas honteux qu’un ange ait à inscrire dans le registre de ta vie les ordres que te dicte un dîve repoussant (13)? Quelle sottise et quelle témérité! Souffrir que des êtres purs (les anges), enregistrent les impuretés de ton âme! Rentre dans la bonne voie, afin de te réconcilier avec Dieu ; fais choix d’un avocat et sollicite ton pardon. Lorsque le temps, dans sa course rapide, aura rempli la coupe de ta vie, on ne t’accordera pas un instant de répit. Quelque impuissantes que soient tes mains à faire le bien, lève-les cependant vers le ciel comme un solliciteur suppliant. Si énormes que soient tes crimes, un aveu sincère te ramènera parmi les bons. Les portes de l’amnistie s’ouvrent devant toi; hâte-toi d’entrer avant que celles du repentir ne se ferment à jamais. Cher enfant, n’essaye pas de marcher sous le fardeau pesant de tes iniquités : le hammal (portefaix) ne peut fournir une longue course. Suis les traces de ceux dont la piété est pure et ardente ; la grâce n’est jamais refusée à qui la demande ; mais, comment retrouver ces traces, si tu t’engages à la suite d’un dîve infâme (le démon) ? Le Prophète ne refuse pas son intercession aux fidèles qui marchent dans les voies de sa loi sainte.
Un homme tout couvert de boue et maugréant contre sa mauvaise fortune allait entrer dans la mosquée, lorsqu’on l’arrêta au passage en disant : « Malédiction sur toi ! ne souille pas de tes pieds maculés de boue le parvis du séjour de la pureté ! » Et moi, pécheur, je pense aussi avec anxiété à la pureté immaculée du ciel sublime ! Comment un misérable, sali par la boue du péché, serait-il admis dans la demeure promise aux âmes innocentes et pures, dans ce paradis qui sera le prix d’une vie irréprochable et sainte ? Pour réaliser un gain, il faut avoir un capital. Sois sur tes gardes ; lave-toi des souillures du péché avant que la fontaine ne soit fermée (avant que l’heure du repentir ne soit passée). Ne dis pas que le moment propice s’est envolé de tes mains comme un oiseau; tu tiens encore le fil où il est attaché. Le temps presse ; marche d’un pas plus rapide ; qu’importe après tout d’arriver tard, pourvu qu’on arrive. La mort n’a pas encore glacé tes mains, lève-les vers le séjour du Juge souverain. Puisqu’une fatalité inéluctable te condamne aux hontes du péché, il vaut mieux les subir, ces hontes, dans le monde d’ici-bas. Perdu de vices, déshonoré, tu peux encore prendre comme intercesseurs ceux dont l’honneur est intact. Si la colère divine me repousse, j’invoquerai en ma faveur l’âme pure des saints.
Trait de l’enfance de Saadi.
Je me souviens que tout jeune enfant je sortis avec mon père, un jour de fête. Absorbé dans mes jeux, je perdis ses traces au milieu de la foule. Je poussais des cris lamentables, lorsque mon père revint et me tirant l’oreille : « Fils désobéissant, me dit-il, que de fois je t’ai recommandé de ne pas lâcher le pan de mon vêtement! Un petit enfant ne doit pas s’aventurer seul sur une route qu’il ne connaît pas. » Et toi aussi, humble dévot, toi qui n’es qu’un enfant dans les voies du spiritualisme, tiens fermement par la main le scheik initié. Garde-toi de fréquenter le vulgaire, ou c’en est fait de ta considération ; marche à la suite des purs, un novice ne doit pas craindre de demander aide et assistance. Les disciples (du soufisme) sont encore plus faibles que des enfants, mais leurs scheiks sont comme un mur d’airain. Prends exemple sur le nourrisson débile qui, pour soutenir ses pas chancelants, s’appuie contre le mur. Afin d’échapper aux chaînes des impies, réfugie-toi parmi les saints et, dans ta détresse, agite l’anneau de leur porte : les rois eux-mêmes viennent y frapper. Courage donc ! imite Saadi et ramasse les épis afin d’avoir une abondante moisson de science. Et vous, pieux adorateurs prosternés devant le mihrâb en d’ineffables extases, quand vous serez assis au banquet des élus, ne détournez pas vos yeux des mendiants de la tribu : l’hôte généreux ne repousse pas les convives parasites. — C’est aujourd’hui qu’il faut marcher sous l’égide de la raison ; demain nous ne pourrions plus revenir sur nos pas.
La moisson brûlée.
Un laboureur avait levé ses récoltes en juillet pour être à l’abri du besoin en décembre. Mais, une nuit, il s’enivra, le malheureux, l’insensé, et mit le feu à sa grange. Le lendemain, il alla glaner dans les champs, car il ne lui restait plus un grain de blé. Quelqu’un fit remarquer à son fils le désespoir de cet homme et ajouta : « Si tu veux t’épargner un pareil malheur, ne brûle pas ta récolte de tes propres mains dans un moment de folie. » —Pécheur, tu mets toi aussi le feu à ta récolte, quand tu gaspilles ta vie dans le désordre. Quelle honte d’être réduit à glaner après avoir jeté la moisson au seul Ami, sème le bon grain, celui de la piété et de la justice: les sages s’instruisent au spectacle du malheur d’autrui. Hâte-toi de frapper à la porte du pardon avant l’heure du châtiment; à quoi sert de gémir sous le bâton ? Dégage dès maintenant ta tête du joug de l’indifférence, et tu n’auras pas demain à la baisser sous le poids de la honte.
Un pieux directeur de Communauté passa près d’un homme qui vivait dans le désordre. En le voyant, le coupable suant la honte s’écria : « Je rougis d’être vu par le chef des religieux de la ville ! » Le scheik au cœur brillant entendit ces paroles et répliqua avec sévérité : « Jeune homme, tu devrais être honteux d’avoir honte de moi, quand Dieu est là (qui voit tout). As-tu donc moins de crainte du Seigneur tout-puissant que de parents ou d’étrangers ? N’attends aucune indulgence de la part des hommes : c’est vers Dieu seul que tu dois te tourner. »
Joseph et Zuleïkha.
Zuleïkha enivrée du breuvage de l’amour s’attacha au pan de la tunique de Joseph; le démon de volupté qui la dominait la jeta sur Joseph comme une louve. Cette reine d’Egypte avait coutume de se prosterner, matin et soir, devant une idole de marbre ; elle jeta alors un voile sur cette statue, comme pour lui dérober le spectacle de sa honte. Joseph s’éloigna de cette femme criminelle et posa ses mains sur sa tête (en signe de deuil). Zuleïkha, couvrant de baisers ses mains et ses genoux, s’écria : « Amant dédaigneux et cruel, reviens à moi; ne m’accable pas de tes refus, ne trouble pas, par tes rigueurs, des instants si doux ! » Un torrent de larmes inonda le visage de Joseph : « Va-t-en, lui dit-il, n’exige pas de moi une atteinte à la chasteté…. Eh quoi ! tu as honte devant une image de pierre et moi je n’aurais pas honte devant Dieu ! » — Quel profit attends-tu du repentir après avoir dépensé le capital de ta vie ? On demande au vin le coloris de la santé, et il finit par laisser sur le visage une teinte livide. Fais dès aujourd’hui l’aveu spontané de tes fautes, puisque demain ta bouche sera condamnée au silence.
Le chat choisit un endroit propre pour y déposer ses ordures et le recouvre aussitôt de terre, comme par un sentiment de dégoût. Et toi, insouciant des hontes de ta vie, tu ne crains pas de les étaler au grand jour ! Ne l’oublie pas cependant: lorsqu’un esclave, après avoir secoué le joug de l’obéissance, revient suppliant et touché d’un repentir sincère, son maître ne le condamne pas aux fers. Dirige du moins ta haine et tes coups contre un ennemi dont tu n’as à attendre que delà haine (14). Fais maintenant ton examen de conscience, sans attendre le jour où le livre redoutable sera ouvert. Le plus grand coupable cesse de mériter ce nom si, avant la résurrection, il se repent franchement de ses crimes. Le miroir se ternit au contact de l’haleine, mais les soupirs du repentir font briller le miroir du cœur. Redoute aujourd’hui (dans cette vie) les conséquences de tes fautes, afin de n’avoir à redouter personne, au jour du jugement.
Saadi en Abyssinie.
J‘étais arrivé au pays des Abyssins comme un voyageur insouciant de sa destinée et tout entier au bonheur de vivre. Sur ma route, je vis une chambre étroite où l’on avait enfermé quelques malheureux, les fers aux pieds. Je m’enfuis au plus vite et regagnai le désert, comme un oiseau envolé de sa cage. Quelqu’un me dit alors : « Ces prisonniers sont des voleurs rebelles à tout conseil, violateurs de tout droit ; mais toi qui n’as fait de mal à personne, que t’importe si la police arrête le monde entier ? On ne porte pas atteinte à la liberté des honnêtes gens. » — C’est Dieu qu’il faut craindre et non l’Emir. Le fonctionnaire dont la conscience est sans reproche ne s’inquiète pas d’être destitué ; mais s’il cache ses concusssions sous des dehors intègres, avec quelle terreur ne rendra-t-il pas ses comptes ? En faisant honnêtement mon devoir, je n’ai rien à craindre d’un ennemi à l’âme ténébreuse. L’esclave qui déploie le zèle d’un serviteur dévoué, gagne bientôt l’estime de son maître, mais s’il est lent et paresseux dans son service, il tombe du rang d’écuyer (15) à celui de palefrenier, — Marche hardiment (dans la voie mystique), et tu seras supérieur aux anges ; mais si tu hésites, tu tomberas au-dessous de la brute.
Le prince de Daméghân (16) avait frappé un homme avec le manche de sa raquette ; le malheureux poussait de sourds gémissements et la douleur le privait de sommeil. Un sage passa par là et dit : « Si cet homme avait, hier soir, supplié l’Emir, il n’aurait pas subi en plein jour un châtiment honteux. » — Le pécheur qui, pendant la nuit, porte devant Dieu un cœur brûlant de remords, ne craint pas les humiliations du jugement dernier. Si tu désires sincèrement faire la paix avec Dieu, n’hésite pas : sa main généreuse ne fermera pas la porte du repentir. Implore, si tu es prudent, implore, la nuit, du souverain juge la rémission des fautes que tu as commises, le jour. Le Dieu clément qui t’a tiré du néant refusera-t-il de te relever de ta chute ? Esclave, tends vers lui tes mains suppliantes; pénitent, répands des larmes de repentir : aucun coupable ne se présente devant lui sans que ces précieuses larmes n’effacent ses péchés. Dieu ne condamne pas à l’opprobre le pécheur à qui le remords arrache des pleurs sincères.
Mort d’un jeune enfant de Saadi.
Je perdis à Sanaa (ci-dessus chap. iv, note 36) un fils tout jeune encore. Comment décrire ma douleur ? Le ciel ne forme une créature belle comme Joseph que pour la livrer, comme Jonas, au monstre du tombeau (17); le cyprès ne dresse sa taille svelte dans les jardins du monde que pour être déraciné par le vent de la mort. Il faut bien que la terre produise des roses, puisqu’elle recèle dans son sein tant de corps délicats comme la rose. Et je me disais à moi-même : « Opprobre des hommes, tu devrais mourir toi aussi, puisque la mort n’épargne pas plus l’enfant à l’âme pure que le vieillard couvert d’iniquités. Emu et troublé par le souvenir de cet être charmant, je soulevai une dalle de son tombeau; à l’aspect de ce lieu étroit et sombre, je frissonnai et lu pâleur se répandit sur mon visage. Quand je repris mes sens, je crus entendre la voix de mon enfant chéri, qui murmurait à mes oreilles : « Si tu as horreur de ce séjour ténébreux, reviens à la raison et retourne à la lumière (de la foi et de la piété); si tu veux que ta tombe soit lumineuse comme le jour, apporte avec toi le flambeau des bonnes œuvres. »
Le jardinier plein de sollicitude tremble que le palmier ne produise pas de dattes. Que de gens déréglés dans leurs désirs veulent récolter le froment qu’ils n’ont pas semé ! Sache-le bien, Saadi, les fruits appartiennent à celui qui a planté l’arbre, les moissons à celui qui a fait les semailles.
Notes et variantes :
(1) Le texte porte : « Si, sur cinquante dirhems, il t’en manque cinq. » Le dirhem est une monnaie d’argent aujourd’hui fictive et qui n’est plus mentionnée que dans les ouvrages de droit musulman ; elle a varié entre 60 et 75 centimes.
(2) Il s’agit du peuplier noir dont les pousses répandent, au printemps, une odeur balsamique; cet arbre est nommé en persan bîd-i-mischk, « peuplier musqué » et en turc quavac sultani « peuplier royal » ; cette signification est omise dans les dictionnaires. — Le faucon captif, mentionné un peu plus loin est, d’après les commentaires, employé comme terme métaphorique pour désigner l’âme retenue dans les liens du corps et prête à prendre son essor.
(3) Le poète s’adresse aux dévots ou, mieux encore, aux adeptes du soufisme et leur dit : « On ne vous a jamais conseillé de céder aux séductions du monde ; mais si vous avez la faiblesse de céder à l’attrait des passions, luttez du moins avec énergie contre le torrent qui vous entraîne. » — L’ablution par le sable, dont il est parlé dans le distique suivant, est en effet autorisée chez toutes les sectes musulmanes, lorsque l’eau vient à manquer ; mais cette tolérance est accompagnée d’une foule de prescriptions minutieuses, dont on peut lire le détail dans le Droit musulman de M. Querry, t. I, p. 38. Cf. D’Ohsson, Tableau, t. II, p. 46.
(4) Les commentaires prétendent que, par l’expression « coureurs alertes, » il faut entendre les soufis les plus avancés dans la carrière de l’initiation ; mais peut-être est-ce forcer la note que de donner à ce passage une couleur de mysticisme. — S. ajoute ce distique qui ne se lit dans aucune autre édition : « Homme intelligent, fais preuve de sagesse en écoutant mes conseils; si tu mets en pratique les leçons de Saadi, tu fouleras sous tes pieds la sphère sublime. »
(5) Ce dicton est donné en arabe dans le distique ; il signifie que le temps tranche, comme un glaive, la trame fragile de la vie et des espérances humaines.
(6) D’après la leçon commune à G. et à T., il faudrait traduire « la vue du bonheur d’autrui troublait mes yeux et égarait ma raison ; » mais la rédaction de S. me paraît mériter la préférence, parce qu’elle s’accorde mieux avec l’ensemble du discours.
(7) La tutie (oxyde de zinc) très vantée par l’ancienne médecine arabe pour combattre les maladies des yeux, entrait aussi dans la composition du collyre nommé en turc et en persan surmeh. On trouve sur la nature de cette substance et la manière de la préparer un long article dans le Traité d’Ibn el-Beïtar, trad. du Dr Leclerc, Notices des manuscrits, t. xxiii, 1ère partie, p. 322: Voir aussi de Sacy, Chrestom. arabe, t. III, p. 453. La boite qui renferme le collyre en question a une forme oblongue et n’est pas sans analogie avec la d’un grand os; ce qui justifie la comparaison du texte. On peut en voir la figure dans Lane, Modem Egyptians, t. I, p. 43.
(8) Le poète parait jouer sur la double signification de ce mot qui, selon qu’on le prononce nèfès ou nefs, signifie souffle de vie ou âme.
(9) C’est-à-dire les fournitures nécessaires aux jeunes écoliers qui apprennent à lire et à écrire. La tablette louha est une planchette de bois, ordinairement peinte en blanc, sur laquelle le maître d’école trace les lettres de l’alphabet ou les phrases du Coran destinées à être apprises par cœur. Voir Lane, op. cit., t. I, p. 74.
(10) Le Code musulman interdit non-seulement la prière, mais en général toutes les pratiques obligatoires du culte, aux femmes pendant la durée de leur indisposition périodique. Cf. Code musulman à l’usage des Chiites, trad. par M. Querry, t. I, p. 21, art. 120 et suiv.
(11) Tel est le véritable nom d’un des plus célèbres poètes du ve siècle de l’hégire, qui est souvent nommé fautivement Ansari. Son talent de versificateur et sans doute aussi de courtisan lui valut la faveur du puissant souverain ghaznévide Mahmoud, qui lui conféra, avec le titre de roi des poètes, le droit d’examiner toutes les compositions poétiques que ses confrères se proposaient de réciter en présence du Sultan. Quel que soit le mérite des trois mille vers dont se compose le Divan d’Onsori, le plus beau titre de cet écrivain à nos yeux est d’avoir reconnu et favorisé le génie de Firdausi le chantre des gloires nationales. Cf. Quatremère, Hist. des Mongols, préface, p. 64, et Hammer, Geschichte der schœnen Redekünste, p. 46 et 47.
(12) La fausse monnaie représente ici les biens passagers de ce monde et Joseph est pris allégoriquement pour la divinité elle-même. D’après une vieille légende peut-être d’origine talmudique et recueillie par les traditionnistes musulmans, les frères de Joseph, quand ils le vendirent à des marchands arabes, furent payés en argent de faux aloi.
(13) Ce distique est difficile et, par cela même, imparfaitement expliqué par les commentateurs; je crois cependant que dans l’interprétation que je lui donne, il forme un sens complet avec le vers suivant.
(14) « Mais non pas contre Dieu à qui tu dois obéissance et amour »; tel est le complément que les Gloses donnent au vers pour en rendre la signification entièrement intelligible. Le même distique se lit avec une légère variante dans le Gulistân, p. 13.
(15) Le texte porte djândâr ; c’est l’homme d’armes qui accompagne à la guerre un Emir, un chef de clan, et qui reçoit en récompense de son service certaines immunités, comme plus tard les possesseurs de fiefs militaires chez les Ottomans L’édition T. donne une leçon moins satisfaisante au lieu de « au rang d’écuyer, » elle porte « il ne lui restera plus que le déshonneur. »
(16) Ville autrefois florissante située entre Téhéran et Mechhed; elle était le chef-lieu du district de Koumès, l’ancienne Comisène. Dict. de la Perse p. 223. — Le mot tchaugân est le maillet ou bâton recourbé dont se servaient les joueurs de mail ; on sait, par les savantes recherches de Quatremère et de M. Defrémery, que ce mot a donné naissance à notre mot chicane ; voir aussi Dozy, Glossaire, p. 254.
(17) La légende de Jonas avalé par la baleine est populaire chez les Musulmans à cause des versets du Coran qui s’y rapportent, principalement dans les Surates X, XXI et XXXVII. Pour les détails, voir Tabari, trad. française, t. II, p. 44 et suiv. — S. donne un vers de plus : « Le tendre arbrisseau dont le temps a fait un arbre est déraciné par l’ouragan ; » mais ce n’est probablement qu’une variante du vers : « le cyprès ne dresse sa taille svelte, etc. »