La vie des ouvrages de Jean de La Fontaine
Histoire chronologique de la vie et des œuvres de La Fontaine:
1654 – 1658 – 1659 – 1660 – 1661 – 1663 – 1664 – 1665 – 1667 – 1669 – 1671 – 1673 – 1674 – 1680 – 1681 – 1682 – 1684 – 1685 – 1686 – 1687 – 1688 – 1689 – 1691 – 1692 – 1693
1669. — C’est en cette année 1669 que parut la Psyché, dont nous avons déjà parlé. Elle est dédiée à madame la duchesse de Bouillon. Le privilège est du 2 mai 1668 ; elle a été réimprimée en ces derniers temps, et on y a reconnu que La Fontaine est bien au-dessus d’Apulée, et pour le récit et pour les inventions. Le savant homme3 qui a fait des additions au Menagiana (tome IV, p. 153) l’appelle l’admirable Psyché, et y renvoie, pour voir l’effet de la beauté, lorsque Psyché entre dans le temple de Vénus. Nous y renvoyons aussi les lecteurs, afin qu’ils connoissent combien notre poète étoit spectator formarum elegans.
Madame de Bavière, Mauricette Fébronie de La Tour, fille du duc de Bouillon (Frédéric Maurice), qui avoit épousé le prince Maximilien de Bavière, le 24 février 1668, à Château-Thierry, voulut avoir une lettre de La Fontaine sur ce qui se passoit dans le monde; et il lui en écrivit une, d’une variété surprenante , où il lui parle de l’élection du roi de Pologne, à laquelle on travailloit alors, du mérite de tous les prétendants, de la guerre de Candie, puis de tous MM. de Bouillon, qui étoient frères de madame de Bavière, et il fait le portrait de chacun :
Deux de vos frères sur les flots
Vont secourir les Candiots .
0 combien de sultanes prises !
Que de croissants dans nos églises !
Quel nombre de turbans fendu!
Tête et turban, bien entendu.
Les vers suivants sont une prédiction du chapeau de cardinal, que M. le cardinal de Bouillon obtint quelque temps après :
Le duc d’Albret donne à l’étude
Sa principale inquiétude.
Toujours il augmente en savoir;
Je suis jeune assez, pour le voir
Au-dessus des premières têtes.
Son bel esprit, ses mœurs honnêtes,
L’élèveront à tel degré,
Qu’enfin je m’en contenterai.
Il eut bientôt lieu d’être content, car le duc d’Albret fut créé cardinal du titre de Saint-Pierre aux liens, le 4 d’août de cette même année 1669, par le pape Clément IX, à la nomination du roi. Le poète, ravi de sa prophétie, en fit ces vers :
Je n’ai pas attendu pour vous un moindre prix;
De votre dignité je ne suis point surpris :
S’il m’en souvient, seigneur, je crois l’avoir prédite.
Vous voilà deux fois prince, et le rang glorieux
Est en vous désormais la marque du mérite,
Aussi bien qu’il l’étoit de la faveur des cieux.
Pendant qu’il écrivoit sa lettre, l’élection se fit en Pologne. Tous les prétendants étrangers furent exclus, et l’argent, employé par eux, devint inutile :
On s’est en Pologne choisi
Un roi, dont le nom est en ski¹?
Notre argent, celui des États,
Et celui d’autres potentats,
Bien moins en fonds, comme on peut croire,
Force santés aura fait boire,
Et puis c’est tout. Je crois qu’en paix,
Dans la Pologne, désormais,
On pourra s’élire des princes,
Et que l’argent de nos provinces
Ne sera pas, une autre fois,
Si friand de faire des rois.
Ainsi notre poète avoit l’œil à tout, parloit de tout, et parloit de tout très-bien. Sur la fin de ses jours, il écrivoit des lettres à M. le prince de Conti et à M. de Vendôme, dans le même genre. Son commerce dans tous les temps a toujours été avec tout ce qu’il y avoit de plus grand.
1. Ce fut Michel Konybut Wisniowieczki , qui fut élu le 19 septembre 1669, et couronné le 29.
“La Fontaine et la duchesse de Bouillon”