La vie des ouvrages de Jean de La Fontaine
Histoire chronologique de la vie et des œuvres de La Fontaine:
1654 – 1658 – 1659 – 1660 – 1661 – 1663 – 1664 – 1665 – 1667 – 1669 – 1671 – 1673 – 1674 – 1680 – 1681 – 1682 – 1684 – 1685 – 1686 – 1687 – 1688 – 1689 – 1691 – 1692 – 1693
1661.— La grossesse de la reine, et l’arrivée en France de Madame (Henriette d’Angleterre) qui épousa Monsieur, frère du roi, le 31 mars 1661, fournirent à notre poète de quoi bien payer la pension de son protecteur. 11 adressa donc à M. Fouquet . une lettre en vers et en prose, où il est parlé de la grossesse de la reine, et une ode pour Madame. La lettre commence : Le zèle que vous avez pour toute la maison royale me fait espérer que ce terme-ci vous sera plus agréable que pas un autre…. La grossesse de la reine est l’attente de tout le monde. On a déjà consulté les astres sur ce sujet.
Quant à moi, sans être devin,
J’ose gager que d’un Dauphin
Nous verrons dans peu la naissance.
Thérèse, accomplissant le repos de la France,
Y fera, je m’assure, encor cette façon.
Il y fait entrer l’éloge du roi, qui, après la mort du cardinal Mazarin, ne voulut plus avoir de ministre :
Un autre eût tout perdu, quand nous perdîmes Jule.
Mais de quel changement est suivi son trépas?
Louis, ne l’ayant plus, sait régir ses provinces :
La machine de nos États,
Qui, sans l’effort de cet Atlas,
Eût fait succomber d’autres princes,
Ne pèse point au nôtre, et, non plus que les cieux,
N’a besoin pour support que du maître des dieux.
L’ode pour Madame est excellente, mais les beautés et les grâces merveilleuses de cette princesse étoient bien au-dessus de la poésie, et, quelque effort que le poète ait fait pour les représenter, il n’a pu porter l’élévation de l’ode jusque-là, et n’a trouvé que Vénus à qui la comparer. Voici comme il lui fait passer la mer :
Une troupe de zéphirs
L’accompagna dans nos côtes.
C’est ainsi que vers Paphos
On vit jadis sur les flots
Voguer la fille de l’onde,
Et les Amours et les Ris,
Comme gens d’un autre monde,
Étonnèrent les esprits.
Le 17 août, M. Fouquet donna au roi une grande fête dans sa belle maison de Vaux. La Fontaine en fit encore une description en vers et en prose, qu’il adressa à son ami Maucroix . Tout y est vif, enjoué et gracieux. La jeune reine n’alla point à cette fête; elle étoit, dit-il, demeurée à Fontainebleau pour une affaire fort importante : Tu vois bien (car il tutoyait son ami) que je veux parler de sa grossesse; cela fit qu’on se consola. Les beautés de Madame, qu’il vit de bien près, l’éblouirent, et il dit d’elle, à propos des dames de la fête :
Toutes entre elles de beauté
Contestèrent aussi, chacune à sa manière.
La reine avec ses fils contesta de bonté,
Et Madame, d’éclat avecque la lumière.
Il dit, en parlant de Molière, qui y fit représenter la comédie des Fâcheux :
De la façon que son nom court,
Il doit être par delà Rome.
J’en suis ravi, car c’est mon homme !
Te souvient-il bien qu’autrefois
Nous avons conclu d’une voix
Qu’il alloit ramener en France
Le bon goût et l’air de Térence?…
Maintenant il ne faut pas .
Quitter la Nature d’un pas.
Il déclarait ainsi son goût pour la Nature, qu’il a si bien suivie, et cela répond à ceux qui disent qu’il ne connoissoit que Ma-rot et Rabelais. Nos gens d’aujourd’hui, ayant à parler d’un grand peintre, en exprimeroient-ils bien aussi poétiquement le caractère, qu’il fait ici celui de M. Lebrun :
Le Brun, dont on admire et l’esprit et la main,
Père d’inventions agréables et belles,
Rival des Raphaëls, successeur des Apelles,
Par qui notre climat n’en doit rien au Romain.
Quelques jours après cette fête, M. Fouquet fut arrêté à Nantes, le 7 septembre 1661. Les ristournèrent en larmes, et c’est le sujet de cette élégie, qu’un bel esprit de nos jours a trouvée pleine de traits délicats, et qui est en même temps si simple et si touchante. Elle commence :
Remplissez l’air de cris dans vos grottes profondes,
Pleurez, nymphes de Vaux……
Vous l’avez vu naguère aux bords de vos fontaines,
Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines,
Plein d’éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevoit des honneurs qu’on ne doit qu’aux autels.
Il veut parler de la fête de Vaux que M. Fouquet avoit donnée quinze jours auparavant :
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits.
Ce vers plein de vérité représente bien l’horreur d’une prison. La pièce finit par cet autre vers, dont la pensée a paru hardie , mais pourtant vraie :
Les destins sont contents : Oronte est malheureux.
“La Fontaine et la Reine”