La vie des ouvrages de Jean de La Fontaine
Histoire chronologique de la vie et des œuvres de La Fontaine:
1654 – 1658 – 1659 – 1660 – 1661 – 1663 – 1664 – 1665 – 1667 – 1669 – 1671 – 1673 – 1674 – 1680 – 1681 – 1682 – 1684 – 1685 – 1686 – 1687 – 1688 – 1689 – 1691 – 1692 – 1693
1691. Les lettres en prose à madame d’Hervart sont mises sous cette année, parce qu’il y est parlé de faits arrivés en ce temps-là. C’est toujours de la plaisanterie, du badinage et de la joie, des simplicités môme enfantines, qui le caractérisent toujours. Il y parle d’une jeune personne de huit ans. Elle fit une chanson pour lui. Il en fit une pour elle. On les donnera ici, et cet amusement d’un vieillard qui joue avec des enfants ne peut manquer de plaire.
Nous avons, en cette année 1691, son opéra d’Astrée, qui fut représenté, et qui n’eut pas un grand succès. Il n’avoit jamais eu le talent de cette poésie : il l’avoit encore moins à cet âge; mais il est impossible qu’on n’y trouve toujours de ses naïvetés spirituelles, et on ne doit pas perdre ces derniers traits d’un homme qui nous a d’ailleurs tant fait de plaisir. On fait un conte de lui, qu’étant à la représentation de cet opéra, il le trouva mauvais, et qu’ayant demandé de qui il étoit, on lui dit que c’étoit de lui-môme ; à quoi il répondit : « Il n’en vaut pas mieux. » Ce n’est qu’un conte qu’il faut mettre avec celui de la Boule noire à l’Académie, et avec ces distractions dont Vigneul-Marville a fait et allongé un mauvais discours .
Il y a quelques petites pièces auxquelles on ne peut assigner une vraie date, comme le Billard, à madame de la Fayette, des vers pour une capricieuse, d’autres sur le portrait du roi, deux chansons, et autres de cette nature, rapportées dans les Œuvres posthumes, et que l’on placera ici sous l’année 1691.
M. le duc de Vendôme fut fort malade cette année-là, et on appréhenda pour sa vie. La Fontaine, qui étoit son poète, en fut fort affligé, et lui écrivit, sur sa convalescence, une lettre propre à le faire rire, et à lui rendre la joie, qui est la fleur de la santé. Il cherche à enjouer son récit le plus qu’il peut. (Nous ne faisons pas ce mot, nous l’avons trouvé tout fait par Despréaux pour notre poète, dans sa Dissertation sur la Joconde, dont nous ne devions plus parler.) Il dit au prince, que le roi lui-même a annoncé le retour de sa santé :
Et ce qu’il dit vint à Paris
Avec une vitesse extrême.
Sans cela, tout étoit perdu.
Le poète avoit l’air d’un rendu :
Comment d’un rendu? d’un ermite,
D’un Sanctoron, d’un Santena,
D’un déterré : bref, d’un qui n’a
Vu de longtemps plat ni marmite.
Voilà du vrai Villon. La description qu’il fait de la retraite de M. de Fieubet, conseiller d’État, aux Camaldules, est encore toute joyeuse:
Non qu’il se soit du tout privé
Des commodités de la vie.
Même on dit qu’il s’est réservé
Sa cuisine et son écurie,
Des gens pour le servir, son nécessaire enfin,
Un peu d’agréable ; et lui fin.
Cet exemple est fort bon à suivre,
J’en sais un meilleur: c’est de vivre.
Il explique ensuite ce que c’est que de vivre, à sa manière :
Car est-ce vivre, à votre avis,
Que de fuir toutes compagnies,
Plaisants repas, menus devis,
Bon vin, chansonnettes jolies,
En un mot, n’avoir goût à rien ?
Dites que non, vous direz bien.
La morale de notre poète, comme on voit, n’étoit pas sévère, mais il cherchoit à amuser un malade: et avec cet amusement, tout peut passer, car tout passe, et surtout en vers.
M. de Vendôme, plein d’esprit et de goût, prenoit un plaisir infini à lire ses ouvrages et à disputer contre lui, pour le faire parler ; mais La Fontaine ne lui cédoit pas. Il dit, dans un autre endroit :
Je dois tout respect aux Vendômes;
Mais j’irois en d’autres royaumes,
S’il leur falloit en ce moment
Céder un ciron seulement.
“De Vendôme et Jean de La Fontaine”